Des rituels pour vivre mieux
Des rituels pour vivre mieux
Poussiéreux, rigides, ennuyeux… Voilà sans doute des qualificatifs qui viennent spontanément à l’esprit à propos des rituels. Pourtant, la plupart d’entre eux se modifient avec le temps et les circonstances, et de nouveaux apparaissent sans cesse. Et ils sont fondamentaux selon Thierry Janssen.
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Qu’est-ce qui caractérise les rites et les rituels ? à quoi servent-ils ? Peut-on vivre sans eux ? Doivent-ils être reliés à une tradition religieuse ? Comment en inventer de nouveaux ? Voici quelques-unes des questions que s’est posées Thierry Janssen, chirurgien reconverti en psychothérapeute, qui appelle à inventer des rituels contemporains afin de vivre mieux dans la société actuelle, marquée par les incertitudes quant à son avenir.
GRÂCE AU COVID
Son intérêt pour la question est né pendant le confinement consécutif à l’épidémie de covid. Limité comme tant d’autres dans ses activités par les consignes sanitaires, il en est venu lui aussi à se tourner vers les outils de réunion en ligne. Tandis qu’il répondait à une interview à propos de ce qui se vivait alors collectivement, à cause d’un bug de l’application, il s’est retrouvé sans personne pour le questionner. Il a donc continué seul, invitant les quelques centaines de personnes connectées à méditer ensemble. Suite aux commentaires enthousiastes, il a reproduit l’expérience les jours suivants. Il le fera à quarante-cinq reprises, réunissant des milliers d’adeptes. Chaque séance suivait un même canevas. « Je proposais aux participants quelques exercices de méditation, assis, en mouvement, dans le silence intérieur, se souvient-il. Il y avait le besoin, pour tous, d’un rendez-vous quotidien, la nécessité de revenir en soi car les gens étaient perdus. » La séance commençait à dix-neuf heures et se terminait une heure plus tard, au moment où bon nombre de personnes avaient pris l’habitude de sortir de chez elles et d’applaudir les soignants. Un ami journaliste et essayiste lui a dit après cette expérience : « T’es-tu rendu compte qu’au milieu de cette tension, de cette angoisse et de ce chaos, tu as proposé une sorte de rite à travers un rituel quotidien, à la fois traditionnel et contemporain, à des milliers de gens, et que cela leur a fait beaucoup de bien ? »
RITE OU RITUEL ?
Les termes “rite” et “rituel” sont souvent utilisés l’un pour l’autre dans le langage courant. Le rite désignerait plutôt la cérémonie et le sens dont elle est porteuse, alors que le rituel concerne le déroulé de ce rite. Le baptême, par exemple, est l’un des grands rites des églises chrétiennes. Il marque à la fois l’engagement du baptisé et l’accueil de celui-ci par la communauté. Mais le rituel inscrit ce baptême dans une tradition spécifique. C’est ainsi qu’il n’est pas pareil chez les catholiques, les orthodoxes ou les protestants.
De même, l’âge auquel on baptise varie d’une tradition à l’autre, mais aussi selon les époques, tout en gardant une signification identique. On pourrait ajouter qu’aujourd’hui, de nombreux jeunes parents souhaitent marquer l’accueil de leur enfant dans une communauté plus large que leur cellule familiale par une “fête de naissance”, sans y donner de dimension religieuse. Ils recourent eux aussi à un certain nombre de gestes et de paroles qui expriment le sens qu’ils veulent mettre dans cette célébration. Bien sûr, il faut que les rites soient signifiants pour ceux qui les vivent, qu’ils soient “habités”. Dans le cas contraire, ils perdent leur utilité et sont désertés. Chacun a sans doute pu vivre des cérémonies, religieuses ou non, où ce qui était dit ressemblait à des formules qui s’enchainent un peu par habitude ou automatisme, sans créer vraiment de lien vital et porteur de sens entre les participants.
NÉCESSITÉ BIOLOGIQUE
Selon Thierry Janssen, l’utilité des rites est confirmée par les neurosciences. Se référant à son passé de scientifique et de chercheur, il fait appel à quelques notions qui invitent à prendre les rites et les rituels très au sérieux, plutôt que de les reléguer au rang des superstitions naïves. Ainsi, le cortex cingulaire antérieur est une zone du cerveau qu’il qualifie de « véritable machine à détecter du sens dans notre environnement ». Si celui-ci apparaît comme chaotique, elle sécrète des hormones générant du stress, de la peur et de l’anxiété qui peuvent se révéler délétères pour la santé mentale et physique : troubles du sommeil, hausse de la pression artérielle, diminution de la libido et, à la longue, maladies cardiovasculaires, diabète, voire des cancers. Lorsque le cortex cingulaire antérieur s’active, il est donc urgent de l’apaiser.
« Le besoin de sens est dès lors un besoin essentiel. Cela explique pourquoi, depuis la nuit des temps, l’être humain a produit des récits destinés à expliquer le fonctionnement du monde, qui permettent d’avoir une vision cohérente de la réalité. Ils mettent en évidence une série de lois auxquelles il faut se soumettre ou qu’il faut maitriser, pour vivre avec un minimum de certitude dans un monde au départ incertain. Et les rites sont comme des recettes magiques dont la réalisation passe par la mise en place de rituels qui remettent un peu de structure, d’ordre et de prévisibilité dans nos vies. Les rites et les rituels relient les êtres humains autour de compréhensions, de représentations et d’intentions partagées. De ce fait, ils apaisent et ils soudent les communautés humaines. » Au niveau individuel, face à l’incertitude, il est fréquent d’adopter des comportements magiques auxquels les personnes ne croient pas vraiment, mais qui les apaisent. Lors d’un match de tennis, par exemple, on peut constater que certains joueurs s’adonnent systématiquement une succession de gestes répétitifs avant de servir. Pour d’autres, ce sera d’éviter de marcher sur les joints entre les dalles du trottoir. Ces rituels aident le cortex cingulaire à se calmer.
DES RITUELS CONTEMPORAINS
Un rite ne se crée pas de toute pièce. « Les rituels s’inventent de manière intuitive, comme s’ils émanaient de la mémoire de notre âme ou de la part non conscientisée de notre mental. » Pour qu’un rite nouveau émerge, il faut qu’il ait une fonction pratique ou symbolique indispensable à l’épanouissement personnel ou à notre équilibre collectif. Thierry Janssen a demandé à une centaine de personnes les préoccupations et les besoins qu’elles auraient aimé pouvoir aborder à travers un rite. Il en a identifié six grands types dans les réponses. Pour ceux de bien-être personnel, une personne souhaitait vivre plus sereinement. Le rituel qui a émergé consistait, chaque samedi matin, à contempler une photo de son père décédé trop jeune d’une crise cardiaque suite au surmenage, en se promettant de ne pas tomber dans le même piège.
Pour les rites de mieux-être collectif, une autre personne, désirant travailler dans une meilleure ambiance, a proposé à ses collègues de se réunir en cercle chaque matin, de se tenir la main et de réciter ensemble la prière de Marc Aurèle : « Puissions-nous avoir le courage de changer les choses que nous pouvons changer, la sérénité d’accepter celles que nous ne pouvons pas changer, et la sagesse de distinguer les deux. » De nombreux parents évoquaient aussi le souhait d’une plus grande complicité avec leurs enfants. Un père a eu l’idée d’emmener son fils quand il va promener le chien chaque soir après le repas. Autant de rites pour une meilleure éducation, pour le soin de l’environnement et le retour au sacré. « Identifier ses besoins, laisser émerger les rites qui pourraient y répondre, voilà le secret d’une vie pleine de sens et d’accomplissements, le moyen de vivre plus confiant et plus serein dans un monde qui se révèle incertain. »
José GÉRARD

Thierry Janssen, Inventer des rituels contemporains pour vivre dans un monde incertain, Paris, Guy Trédaniel, 2023. Prix : 16€. Via L’appel – 5% = 15,20€.