Moïse, Élie et toi
Moïse, Élie et toi
Tout commence comme au cinéma. Pas les frères Dardenne. Plutôt Cecil B. DeMille et Charlton Heston dans Les Dix Commandements. Avec un scénario à suspens jusqu’au bout.
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Un décor prestigieux. Du bruit. De la lumière. Et surtout des vedettes hollywoodiennes, comme Moïse et Élie, pour être sûr de tenir la distance. D’abord Moïse, dit Moïse l’Égyptien ou encore L’Enfant du fleuve, découvert dans une caisse parmi les roseaux. Et ce n’est qu’un début. Moïse le Libérateur, Moïse le Législateur, Moïse le Voyant qui gravit la montagne pour aller cueillir les mots de Dieu sur ses propres lèvres. Quel autre prophète peut se vanter d’avoir parlé à Yahweh “bouche à bouche” ? Moïse que le Nouveau Testament voit partout, mais qui mourra à 120 ans sans avoir vu la terre promise. Sauf de loin.
Élie, ce n’est pas mal non plus dans le genre La mort aux trousses ou Le Samouraï, le film de Jean-Pierre Melville qui offrira un de ses plus beaux rôles à Alain Delon. Égorgeur de prophètes au cœur de toutes les apocalypses, le bouillant mystique va traverser le désert et rencontrer Dieu « dans le murmure d’une brise légère » avant d’être emporté au ciel sur un char de feu conduit par des chevaux brûlants. Ce n’est plus À bout de souffle, mais Ben Hur !
GRANDE FRAYEUR
Et puis, il y a toi. Et tu ne seras pas en reste derrière les premiers rôles du Premier Testament. Toi, plus brillant que le héros de Jésus-Christ Super Star et plus blanc encore qu’Alec Guinness dans L’Homme au complet blanc. Toi que voilà « à l’écart », « sur une haute montagne », « transfiguré » devant tes amis, au sommet de la trinité.
On comprend que Pierre, Jacques et Jean soient heureux d’être là et souhaitent que le spectacle continue. Du coup, ils veulent immobiliser la vision, capter la blancheur, saisir le visage de leur guide : que plus rien ne bouge ! C’est si bon d’arrêter le temps et d’assigner Dieu à résidence Rabbi, il est bon que nous soyons ici ! Dressons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. » Ils vont être servis puisque la technique en rajoute avec, en prime, une voix off de derrière les nuées. C’était trop ! « Pierre ne sait plus que dire tant leur frayeur était grande. »
Et voilà que le décor change, que les clameurs se taisent, que les lumières s’estompent et qu’on se retrouve plutôt dans l’Ombrie franciscaine de Rossellini ou dans Le Grand silence du réalisateur allemand Philip Gröning.
INTANGIBLE PRÉSENCE
Soudain, ils lèvent les yeux et ne voient plus que Jésus seul. Fini l’orage. Fini le feu. Comme Moïse et Élie à l’Horeb, Pierre, Jacques et Jean découvrent que « la gloire » du Fils de l’homme se tient aussi dans le ténu et l’à peine audible. Jésus seul. Comme Élie quarante jours au désert et comme les Hébreux quarante ans dans la nuit de la grande traversée. Jésus seul. Comme Moïse au moment de son divin « bouche à bouche » et, comme lui, Parole de la Parole : « Écoutez-le », dit la voix du baptême. Jésus seul. Comme il le sera sur le chemin d’Exode vers Jérusalem, entre le Thabor et le Calvaire. Au moment où je relis cet Évangile de la transfiguration, je reçois le dernier livre de Gilles Baudry, Cette enfance à venir, que le moine-poète accompagne des dessins de Nathalie Fréour. Et me voilà, au fil des pages, devant un poème que l’ami Gilles aurait pu écrire au Thabor :
Intangible Présence
ou translucide Absence
Comment parler de toi autrement
qu’avec des mots titubants
En égrenant le rosaire des larmes
tant la beauté du monde nous poigne
Cette beauté n’est pas du “cinéma”, mais la manière divine d’éclairer l’ordinaire des jours.
Gabriel RINGLET
Gilles BAUDRY, Cette enfance à venir, Hennebont, L’Enfance des Arbres, 2023. Prix : 15€. Via L’appel : – 5% = 14,25€.