André Antoine, un prêtre chez les ouvriers

André Antoine, un prêtre chez les ouvriers

Devenu prêtre pour « suivre Jésus », André Antoine est entré en usine suite à sa rencontre avec un prêtre ouvrier. Désormais pensionné, il est toujours actif à Seraing. Un livre retrace son parcours.

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Publié le

30 novembre 2023

· Mis à jour le

25 février 2025
André Antoine portant un chapeau et des lunettes, souriant à la caméra

« Pour moi, être prêtre ouvrier, c’est donner ma vie pour les ouvriers, est convaincu André Antoine. Là se trouve le sens de mon célibat. Vivre de l’esprit de Dieu est vivre cet esprit de service. Saint Jean, dans son Évangile, parle de l’eucharistie en l’illustrant par le lavement des pieds. Nous sommes invités à prendre la tenue de service. » 

C’est à 12 ans, lors de la retraite de sa profession de foi, que l’adolescent, né à Paliseul, découvre sa vocation. « Le prêtre du village, se souvient-il, a parlé de Jésus-Christ d’une manière passionnante. Je me suis dit : “Ce Jésus-là, j’ai envie de le suivre”. Et le suivre, c’était devenir prêtre. » Il entame dès lors des études gréco-latines au collège des assomptionnistes de Bure. Pourtant, dans les dernières années, il se demande si entrer dans les ordres lui convient réellement. On est dans les années 68. Il s’inscrit néanmoins au séminaire, dont le président lui dit qu’il est conseillé de faire d’abord d’autres études.« À sa question de savoir ce que j’aimais, je lui ai répondu : les mathématiques. Comme il me demandait si rien d’autre ne m’intéressait, je lui ai dit l’histoire. Ce que j’ai fait, et j’ai raté. On ne m’a pas fait recommencer et je suis entré en philosophie. »

ENGAGÉ À LA JOC

Comme il a déjà le souci de l’ouverture à l’autre, le jeune homme rentre régulièrement dans sa paroisse où il est actif dans le patro. Il découvre les Équipes Populaires et la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) où son père, qui a commencé à travailler dans une bonneterie à 13 ans parce que son propre père était décédé, était fort actif. Cela a certainement joué dans son engagement. Une autre chose a également compté, comme il le raconte : « Près du séminaire, à Namur, on passait souvent devant les ateliers qui réparaient les machines de la SNCB, s’apercevant que ces gens-là, en réalité, on ne les connaissait pas. Le monde ouvrier nous était inconnu. »

En deuxième année de théologie, lors d’une session de spiritualité, il est touché par un prêtre ouvrier de Charleroi qui parle de son expérience. Pour suivre ce chemin, deux ans de stage sont indispensables. Il fait alors le tour des équipes de prêtres ouvriers et, finalement, rencontre celle de Liège d’où est venu le premier d’entre eux : Charles Bolland. Il commence donc un stage dans cette équipe pour être au plus proche de celles et ceux qui sont marginalisés. L’un des prêtres, Louis Brenu, lui dit que, pour devenir prêtre ouvrier, il faut du temps. Mais, pour sa famille, ce choix ne passe pas. Sa mère, qui ne comprend pas cet engagement, lui demande d’en parler avec son père. C’est l’équipe elle-même qui le rencontrera et parviendra à le convaincre parce qu’il se rendra compte que ces hommes parlent de ce qu’ils vivent. 

PREMIER BOULOT

Son premier boulot, André Antoine l’effectue chez Colgate, où il doit soulever des caisses de vingt kilos. À son arrivée, on lui dit que chercher à devenir ouvrier avec les études qu’il a faites, cela revient à se dévaloriser. C’est toutefois dans cette entreprise qu’il fera vraiment l’expérience du travail avec toutes ses contraintes. Il y découvrira notamment que les ouvriers ne sont pas là pour parler, mais pour travailler. Sinon, ils ont le contremaître sur le dos. Il sera ensuite placé dans un service où les produits abimés pendant le transport sont renvoyés pour être reconditionnés. En 1983, il échangera son poste avec celui d’un ouvrier qui voulait davantage accompagner son fils. Cela frappera ses collègues. À leur demande, il sera candidat aux élections sociales. Bien qu’élu suppléant, il est poussé à agir comme s’il était le délégué principal. 

Pourtant, il ne se représentera pas. Car il ne se sent pas tout à fait prêt et n’est pas sûr de vouloir rester prêtre ouvrier. « Il me faudra neuf ans pour le devenir réellement, pour vraiment entrer dans la vie des gens, revêtir la condition ouvrière », convient-il. En 1991, il est élu délégué principal à temps plein. En se présentant, il ava it bien précisé qu’il voulait travailler en équipe. Il avait suivi auparavant des cours à la FAR (Fondation André Renard) ainsi qu’à l’université de Liège, qui venait de créer une candidature en économie et gestion ouverte à des syndicalistes et des cadres d’entreprise. Hélas, peu après son élection, l’usine fermera ses portes. 

Il ne restera toutefois pas chômeur longtemps. Après avoir été engagé en intérimaire à Chaudfontaine, il entrera à L’Oréal Libramont, puis à la campagne de Renory, qui subira elle aussi aussi une restructuration. Il sera licencié. On lui proposera alors d’entrer à la Commission des sans-emploi dont, trois ans plus tard, il deviendra le président. Il expérimentera ainsi comment, à cinquante ans, il est difficile de retrouver du travail. Avant d’être pensionné, il passera encore trois ans dans un nouveau service de la FGTB, consacré à la lutte contre les discriminations à l’emploi. Ensuite, très vite, on le sollicitera pour intégrer le CREPS (Centre récréatif et éducatif des pensionnés de Seraing), où il officie toujours aujourd’hui.

« Il me faudra neuf ans pour devenir réellement prêtre ouvrier, pour vraiment entrer dans la vie des gens, revêtir la condition ouvrière. »

INCOMPATIBILITÉ ?

Ouvrier avec les ouvriers, syndicaliste avec les syndicalistes, chômeur avec les chômeurs, pensionné avec les pensionnés : tel est le fil rouge de la vie professionnelle d’André Antoine. Le fait d’être prêtre a-t-il été un problème ? « Oui et non, confie-t-il. Certains me disaient qu’un jour, il me faudrait choisir parce que prêtre et ouvrier ce n’était pas compatible. Les travailleurs ont souvent une vision négative de l’Église. Pour beaucoup d’entre eux, elle n’a jamais été proche des ouvriers, c’est un monde de riches, à quelques exceptions près. Et ce n’est pas simplement un cliché ! L’Église n’a pas perdu le monde du travail, elle ne l’a jamais rencontré. »

« Personnellement, je n’ai jamais connu de problèmes, sauf avec quelques individus. Lorsque j’étais à Namur, c’était toléré. À l’époque, j’étais au conseil presbytéral et on a fait une réunion rien que sur les prêtres ouvriers, et ça a été d’une grande ouverture. Un bon accueil du conseil presbytéral, mais toléré par l’Église. À Liège le vicaire général Karl Gatzweiler était proche de nous, il animait nos retraites. »

Propos recueillis par Paul FRANCK

Giovanni LENTINI, André Antoine, le dernier prêtre ouvrier, Cuesmes, Le Cerisier. 2022. Prix : 14€. Via L’appel : – 5% = 13,30€.

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