« Sens » dessus dessous

« Sens » dessus dessous

Dans son nouvel essai, « Un sens à la vie », le philosophe belge Pascal Chabot se demande comment revenir à l’essentiel, dans un monde où les machines se sont emparées de la conscience humaine.

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Publié le

30 novembre 2024

· Mis à jour le

28 février 2025
Dans son nouvel essai, « Un sens à la vie », le philosophe belge Pascal Chabot se demande comment revenir à l’essentiel, dans un monde où les machines se sont emparées de la conscience humaine.

« Comment expliquer l’omniprésence de la quête de sens dans le paysage contemporain ? » Pour tenter de répondre à cette interrogation, Pascal Chabot a mené « une enquête philosophique sur l’essentiel ». Selon lui, le passage d’une « civilisation du devoir », où chacun avait sa place dans la société et l’acceptait, a été remplacée, après Mai 68 et dans une partie de la société, par une civilisation marquée par un désir de liberté et d’émancipation, modifiant ainsi la question du sens donné à sa vie. Une angoisse encore accrue aujourd’hui dans un univers à la fois puissamment technologique et culpabilisant sur le plan écologique. 

TROIS REGISTRES

Le philosophe rappelle que le sens appartient à trois registres différents. D’abord, la sensation, vu que « l’expérience de la vie, nous la sentons et la ressentons ». Mais elle est « fugace ». Ensuite, la signification, car c’est « en parlant et en tâchant de comprendre que nous sommes catapultés sur un autre plan, qui est celui du langage ». Et enfin, la direction, qui renvoie à l’image du labyrinthe évoquant la perte d’orientation, la difficulté de trouver son chemin, l’errance. “Faire sens”, et dès lors vivre, revient à circuler entre ces trois pôles. L’absence de l’un d’eux peut entrainer un sentiment de perte de sens. Et donc provoquer des crises intérieures profondes, comme la dépression, le burn-out, voire le suicide. Pour en sortir, le philosophe avance la « passion-raison ». Soit « une passion pensée et réfléchie, liée à une raison passionnée ».

Si la quête de sens est aussi intense aujourd’hui, c’est parce qu’un changement majeur est venu bouleverser les circuits de sens : le geste. Celui, fait des dizaines, voire des centaines de fois par jour, qui consiste à saisir son téléphone et à voir ainsi s’ouvrir de nouveaux horizons, entrainant une coupure de ses cinq sens avec l’environnement. Pascal Chabot y décèle le « naufrage de l’inconscient » et l’émergence d’« un autre prolongement de la conscience humaine » qu’il nomme surconscient. Les rapports différents de la conscience avec ce “là”, d’une part, et le “ça” de l’inconscient, de l’autre, viennent alors tout brouiller. « Le surconscient, écrit-il, est une instance de défoulement capable de se répandre sans filtre dans les ordinaires circuits de sens. » Il s’alarme que « des mégamachines produisant en permanence du sens, parfois de façon automatisée, sont désormais greffées sur nos circuits, bousculant en profondeur nos manières de sentir, de signifier, de nous orienter ». Pour qualifier les nouvelles pathologies générées par le branchement au surconcient, l’essayiste a inventé un néologisme : les digitoses. 

QUATRIÈME BLESSURE

Pascal Chabot constate que l’homme vit sa « quatrième blessure narcissique », et ce n’est plus son semblable qui en est la cause. Après Copernic, qui a décentré la Terre dans l’univers, après Darwin, qui a fait descendre l’humain du singe, et après Freud, qui a prouvé la toute-puissance de l’inconscient, ce sont les algorithmes qui lui portent aujourd’hui un sévère uppercut en lui signifiant qu’il n’a pas « le monopole de l’intelligence ». À l’origine simples fournisseurs d’informations, les ordinateurs, grâce à l’IA, peuvent désormais émettre des idées, apporter des solutions, débattre. Ils sont devenus des manipulateurs de sens, dépossédant l’homme de ce qu’il croyait inaliénable. 

Comment se comporter face à ce nouveau destin techno-économique ? En racontant, est convaincu le philosophe. En créant des récits « pour expliquer la vie et parfois l’inexplicable ». « Car, insiste-t-il, si le destin n’a pas de sens, nos récits, au moins, qui sont à notre image, en auront. » Et, circulant de proche en proche, ils engendrent « progressivement un monde commun qui contrebalance par sa chaleur et sa fraternité la sécheresse des machinoïdes ».

Michel PAQUOT

Pascal CHABOT, Un sens à la vie, Paris, PUF, 2024. Prix : 17€. Via L’appel : – 5 % = 16,15 €.

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