Le monde de l’enseignement en ébullition
Le monde de l’enseignement en ébullition
Communautarisation de l’enseignement, fusion des réseaux, fin de la staturisation des enseignants… La récente déclaration de politique générale de la Fédération Wallonie Bruxelles fait l’unanimité contre elle. Les semaines ou les mois qui viennent s’orienteraient-ils vers un nouveau combat mené par le monde de l’enseignement francophone ?
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Ça bouge du côté de l’école francophone. À la fin du mois de novembre dernier, la grogne semblait en effet totale au sein de la communauté éducative. « Je n’ai plus vu une telle mobilisation de la part des équipes et des écoles depuis très longtemps, proclamait Roland Lahaye, secrétaire général de la CSC Enseignement sur les antennes de la RTBF. Je pense que c’est le début d’un combat qui va être long. Tout le monde est mécontent. En six mois, la ministre MR de l’Enseignement obligatoire, Valérie Glatigny, s’est mis tout le monde à dos : les organisations syndicales, les fédérations des pouvoirs organisateurs, les parents et certaines plateformes, comme celle contre l’échec scolaire, celle de la lutte contre la pauvreté. Toute la société se rend compte du mal-être et du malaise qui règnent dans l’enseignement. »
FINANCEMENT DES RÉSEAUX
On est loin des réactions de victoire au lendemain des élections du 9 juin. Jamais un gouvernement n’avait été constitué en si peu de temps. Dès le 11 juillet, en effet, le MR et les Engagés formalisaient leur déclaration de politique communautaire. Élisabeth Degryse, la nouvelle ministre-présidente de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) annonçait avec fierté qu’enfin « un enfant égalera un autre enfant ». Une déclaration d’ailleurs confirmée par Alexandre Lodez, tout nouveau secrétaire général de l’enseignement catholique (SEGEC), en remplacement de Étienne Michel parti à la retraite après avoir veillé vingt ans aux destinées de l’institution. « En matière d’enseignement, a-t-il dit, le gouvernement entend mettre fin à la discrimination historique de traitement et de financement entre les réseaux libre et officiel en matière de taux de subventionnement par élève et de taux de subventionnement en infrastructures. Concrètement, le taux de subventionnement du libre s’établira à 92% d’ici dix ans. Ce qui équivaut à une égalité parfaite de financement par élève (aujourd’hui, ce taux devrait être de 75% pas nécessairement atteint) entre l’officiel et le libre, à l’exception du coût des bâtiments du réseau libre dont la FWB n’est pas propriétaire. »
« Aujourd’hui, dans l’enseignement francophone, un enfant n’est pas égal à un autre enfant. »
Au regard de l’histoire, il est important de se souvenir que, depuis l’indépendance de la Belgique, le pays a traversé aux XIXe et XXe siècles plusieurs guerres scolaires. Il faudra attendre la loi dite du pacte scolaire du 29 mai 1959 pour entériner une pilarisation de l’enseignement avec la coexistence durable et concurrentielle des différents réseaux : l’enseignement officiel public, avec la WBE (Wallonie Bruxelles enseignement), le CEPEONS et le CECP, organisé par les provinces, communes…, et l’enseignement libre, par la FELSI et le SEGEC. Aux yeux du monde laïque, ce pacte scolaire représente une amère défaite. Du côté catholique, il constitue une grande victoire, même s’il ne satisfait pas encore la revendication de subventions pour les constructions scolaires. Pour Alexandre Lodez, il est logique que, lorsqu’une autorité publique rend un enseignement obligatoire et le finance, elle puisse imposer le respect de certaines conditions (fixées démocratiquement) aux écoles pouvant dispenser cet enseignement.
UN ENFANT = UN ENFANT
Depuis un certain temps, cependant, des esprits réfléchissent à fusionner certains réseaux et travailler à des rapprochements et mises en commun. Roberto Galluccio, ancien administrateur-délégué du CEPEONS, retraité et président de la Ligue de l’enseignement, estime pourtant « l’axiome un enfant = un enfant ne fait généralement l’objet d’aucune démonstration. Il faut l’accepter avec évidence, alors qu’elle devrait être utilisée avec prudence dans le monde de l’enseignement en FWB. Oui, bien sûr, un enfant = un enfant. Mais quelles sont donc, aujourd’hui, les plus grandes différences entre élèves et entre écoles ? Ce ne sont pas celles qui séparent l’enseignement libre de l’enseignement officiel, mais celles qui séparent, à l’intérieur de chaque réseau, les enfants et écoles selon l’origine sociale, ethnique et même religieuse. Aujourd’hui, il faut se rendre à l’évidence : dans l’enseignement francophone, un enfant n’est pas égal à un autre enfant. »
« La seule façon pour atteindre l’objectif recherché par l’axiome serait d’organiser la fusion de l’enseignement en un seul réseau, c’est-à-dire la transformation des écoles libres en écoles publiques, subventionnées au même niveau que l’officiel, en échange de la cession de leurs bâtiments à l’État. Dans le meilleur des mondes un enfant égale un enfant, mais dans une société qui dérégule le “marché” de l’enseignement, c’est le règne de la surenchère, de la dualisation, un “monde noir” et un “monde blanc”, comme disent les Flamands entre les bonnes écoles et les écoles “ghettos”. »
STATUT DES ENSEIGNANTS
Il faut d’ailleurs reconnaître que, si la fusion des réseaux est une raison de friction entre les membres de la communauté éducative et le gouvernement communautaire, d’autres éléments font grincer les mâchoires. Le gouvernement envisage très sérieusement, même si le texte n’est pas encore rédigé, de remplacer progressivement le système des nominations des enseignants par des contrats d’emploi à durée indéterminée (CDI). Pour Valérie Glatigny, la ministre de l’Enseignement dont la feuille de route est la lutte contre la pénurie d’enseignants, ce changement de statut est l’une des pistes prioritaires pour attirer des jeunes dans les filières de l’enseignement supérieur pédagogique. On constate effectivement que, depuis plusieurs années, les écoles normales ne séduit plus les éventuels futurs enseignants. La stabilité de l’emploi des profs nommés, d’après la ministre, se fait au détriment des jeunes engagés pour des temps partiels, des remplacements, des horaires compliqués et, souvent, le déplacement dans plusieurs écoles.
Ce changement de statut renforcerait l’attractivité du métier et lutterait contre la pénurie puisque l’étudiant se verrait attribuer un CDI dès la sortie de ses études. Tant Alexandre Lodez que Roberto Galluccio se demandent comment cette modification statutaire permettrait une meilleure organisation de l’enseignement dans les écoles et, partant, de régler la situation financière de la FWB. Ils espèrent tous deux – et ils ne sont pas les seuls -, vu que le texte légal n’est pas encore écrit, y trouver des réponses adéquates. Quoi qu’il en soit, il faut à la fois attirer et retenir le personnel dans un secteur où les conditions de travail se dégradent au jour le jour.
UNE RÉFORME D’AMPLEUR
Le Pacte pour un enseignement d’excellence se trouve également dans le collimateur des différents acteurs de l’enseignement. « Ce pacte, comme le dit Alexandre Lodez, est vraiment un principe génial. IL envisage une réforme de grande ampleur de l’enseignement. Il est le fruit d’un intense travail collectif entamé en 2015. Il est fondé sur l’ambition commune de tous les partenaires de l’école de renforcer la qualité de l’enseignement au bénéfice de tous les élèves de la maternelle au secondaire. Il est question de l’ancrer dans la durée. » Ces partenaires, même si, aujourd’hui, la CGSP a quitté la table, sont décidés de garantir des apprentissages identiques à tous et à favoriser la réussite du plus grand nombre. Un accent est mis sur les élèves précarisés, avec une évaluation de ses premiers effets dans dix ans. D’ailleurs, un comité d’accompagnement, piloté par l’administration générale de l’enseignement, se réunit chaque semaine, de façon sérieuse à cet effet.
« Le pacte d’excellence est fondé sur l’ambition commune de renforcer la qualité de l’enseignement. »
Pour des raisons purement budgétaires, sans concertation aucune, le gouvernement propose de nouvelles mesures touchant cet enseignement qualifiant, créant ainsi une rupture unilatérale et une déviation de la trajectoire définie par le pacte, entre autres, en supprimant la septième année de qualification. Cette septième année est souvent, pour des élèves qui ont obtenu leur certificat de fin de secondaire en sixième, un accès à une spécialisation ou à une formation qualifiante dans des métiers rares ou en pénurie, correspondant à des demandes des secteurs professionnels. Dans cette foulée, à l’initiative du SEGEC, les différents réseaux se sont entendus sur un communiqué commun, ce qui prouve leur détermination. « Les mesures non concertées compromettent d’emblée la réforme systémique de l’enseignement qualifiant, de l’enseignement pour adultes et de la formation professionnelle annoncée dans la DPC, argumente ce texte. Nous demandons de garder le cap et la temporalité fixée par le pacte d’excellence. Nous y contribuons activement depuis 2017 et nous demandons que le gouvernement respecte ce cadre de dialogue, indispensable à la réussite des élèves et au bien- être des équipes éducatives. Nous restons engagés dans cette voie, assurés qu’une éducation de qualité et équitable est un droit que nous défendrons sans compromis. »
Michel LEGROS
UNE ÉCOLE CONVIVIALE POUR TOUS
« L’école a toujours été un sujet sensible au cours de l’histoire de notre pays. Ce fut (et cela reste encore) l’un des points de cristallisation dans ce qui oppose les catholiques et les laïques. Depuis 1974, l’islam est devenu chez nous l’une des religions reconnues, lui donnant la possibilité, non seulement d’organiser des cours de religion dans les écoles publiques, mais aussi de créer des écoles islamiques – on en compte déjà huit à Bruxelles – qui ont été accueillies au sein du SEGEC, avec lequel elles ont conclu des accords pour l’introduction de leurs demandes de subsides. Ce qui ne favorise pas le vivre ensemble. D’autant que le monde musulman n’a jamais connu de véritable séparation entre le religieux et le politique. »
Ce constat est celui de Jean-Claude Laes, juriste, fiscaliste, ancien chef de cabinet de Didier Reynders lorsqu’il était ministre des Finances. Il a aussi été échevin des Finances et de l’Enseignement à Woluwe-Saint-Pierre. Pour lui, il devient de plus en plus important de conclure un ambitieux accord sur l’école, afin de passer progressivement à une école conviviale pour tous. C’est le sujet de son ouvrage Écoles islamiques : la communautarisation de l’enseignement. Pacte unioniste pour l’école conviviale de demain. Cela demande(rait)bien entendu une concertation entre toutes les écoles, ce qui suppose donc que les deux grands piliers laïque et catholique acceptent d’ouvrir un dialogue entre eux en surmontant les vieux tabous historiques.
L’auteur estime que cette école conviviale devrait adopter une approche pluraliste. Il est possible d’envisager des dispositions transitoires en créant un cadre réglementaire laissant l’école évoluer à son rythme vers ce modèle inédit. Il ne s’agit pas, bien sûr, de tout raser, mais de permettre à ces nouvelles dispositions de garantir à toute école qui en fait le choix de rester ce qu’elle est. « Ce livre n’est en aucune façon rédigé contre les musulmans, insiste Jean-Claude Laes, car ce sont eux qui sont les premières victimes du cul-de-sac de l’apartheid qui engendre tout repli communautaire. Il nous appartient de leur tendre la main et de leur montrer – par nos actes – que nous souhaitons partager avec eux un désir universel de fraternité dans la foulée de ce que propose le pape François dans son encyclique Fratelli tutti-Tous frères. L’école conviviale que je préconise vise précisément à favoriser une réelle intégration de chacun à apprendre à goûter la saveur de l’autre, selon la belle expression de Jacques Sojcher, ancien professeur de philosophie à l’ULB. »(M.L.)
Jean-Claude LAES, Écoles islamiques : la communautarisation de l’enseignement. Pacte unioniste pour l’École conviviale de demain, Paris, L’Harmattan, 2024. Prix : 19€. Via L’appel : – 5% = 18,50€.