Protéger la liberté de choix

Protéger la liberté de choix

Le judaïsme n’adhère pas à l’interdiction du droit à l’avortement car, pour lui, la vie de la mère prime sur celle du fœtus en cas de danger physique.

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Publié le

31 janvier 2025

· Mis à jour le

24 février 2025
La chroniqueuse Floriane Chinskyok souriant à la caméra

La vie humaine est essentielle pour le judaïsme, à tel point qu’il est autorisé de transgresser n’importe quel commandement si on a la plus petite raison de penser que cette transgression pourrait sauver une vie (Yoma 85b) ; et l’on sait combien les commandements sont importants et constitutifs du judaïsme. Malgré cela, ou justement pour cela, le judaïsme n’adhère pas à l’interdiction du droit à l’avortement. Pour lui, la vie de la mère prime sur celle du fœtus en cas de danger physique, et pour la plupart des rabbins dans le monde (y compris orthodoxes), l’équilibre psychologique de la femme, et même de la famille, a la préséance.

UN SYLLOGISME

Scott Klusendorf est le président de l’Institut de formation pour la vie aux États-Unis. Il enseigne ses méthodes pour emporter l’adhésion dans les débats publics. Or, les débats publics sont un terrain d’affrontement essentiel depuis la fin en 2022 de la protection du droit à l’avortement au niveau fédéral. Ce polémiste cible particulièrement le monde chrétien dans son livre Défendre la vie : donner aux chrétiens les outils pour qu’ils s’engagent dans la culture. Néanmoins, il s’appuie sur des valeurs qu’il présente comme universelles, et auxquelles le judaïsme n’adhère pas. L’un des outils qu’il utilise est le syllogisme suivant : Prémisse 1 : il est mal de tuer des êtres humains innocents. Prémisse 2 : l’avortement tue un être humain innocent. Conclusion : l’avortement est mal.

Le judaïsme ne soutient pas cette logique. Premièrement, il considère qu’il est mal de tuer tout être humain, même s’il n’est pas innocent. La michna makot (I:10) marque sa désapprobation de la peine de mort. Les rares exceptions bibliques qui la justifieraient sont rendues caduques par des règles de procédure très strictes (sanhedrin 37b). La prémisse 2 devient alors : « L’avortement tue un être humain. » Avec l’adjectif « innocent », la phrase suscitait dans notre imagination un joli bébé déjà né, mais sans cet ajout attendrissant, on revient à la réalité et on voit apparaitre uniquement un embryon face à un être humain. La différence apparait clairement. Ceci coïncide avec la vision talmudique pour laquelle l’embryon est considéré comme “juste de l’eau” jusqu’au quarantième jour après la conception (Yebamot 69b), puis comme “un membre de sa mère” jusqu’à la naissance (Chullin 58a, Gittin 23b). Et également avec la vision scientifique pour laquelle « maintenir son organisation » est une condition de la définition du vivant. Ainsi, « l’avortement ne tue pas un être humain », la mort d’un fœtus n’est pas un infanticide.

UN ACCIDENT DE LA VIE

Bien évidemment, notre capacité d’imagination voit dans le potentiel d’une vie l’opportunité miraculeuse de voir grandir un être qu’on apprendra à découvrir. Il faut œuvrer pour protéger ce potentiel. Mais pas en mettant les femmes en danger, et une grossesse, une naissance et une maternité non désirées sont dangereuses. Rappelons que, même avec un implant progestatif, qui est la méthode de contraception la plus sûre, une femme sur deux mille tombe enceinte dans l’année. L’avortement n’est pas une chose souhaitable en soi, mais il peut être plus favorable que d’autres options. Il est un accident de la vie. C’est d’ailleurs de cette façon qu’il apparait pour la première fois dans la Bible, dans le livre de l’Exode (21:22-25). Ce passage présente une situation où deux hommes luttent, et par accident, l’un d’entre eux donne un coup dans le ventre d’une femme, provoquant ainsi la perte du fœtus. Cette perte, selon le texte, donne lieu à une réparation financière, ce qui prouve qu’elle n’est pas considérée comme un infanticide. Pour préserver cette potentialité de vie, il aurait suffi d’une chose très simple : éviter la violence dans l’espace public. De la même façon, il est tout à fait louable de protéger la vie, non pas en interdisant l’avortement, mais en ouvrant les options des femmes, en réajustant leurs salaires, en ouvrant des crèches, etc. Et pour ceux qui veulent juste des trucs mignons, il y a toujours les vidéos de chatons.

Floriane CHINSKY, Docteure en Sociologie du Droit, rabbin à Judaïsme en Mouvement

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