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Edito

Les oubliés de Noël.

« C’est la crise. Marre de l’eÌ cologie. » AÌ€ cette banderole, croiseÌ e aÌ€ un carrefour du sud-ouest de la France, reÌ pond ce
« Urgence climatique et justice sociale, meÌ‚me combat  », scandeÌ par des milliers de manifestants, aÌ€ Bruxelles et chez nos voisins.

En ce Noël 2018, cette dernieÌ€re revendication reste un voeu pieux. Pour calmer « la coleÌ€re des gilets jaunes », les gouvernements se sont d’abord soucieÌ s de supprimer les hausses des taxes sur les carburants. Ce cadeau, jugeÌ bien insuffisant par une partie des Français en reÌ volte, ne reÌ sout pas, aÌ€ lui seul, le probleÌ€me de l’injustice sociale. Il contribue seulement aÌ€ ce qu’il n’empire pas. Mais il rend plus improbable encore une reÌ ponse aÌ€ l’urgence climatique. Il l’ag- grave meÌ‚me : on ne sauvera pas la planeÌ€te en encourageant la consommation d’eÌ nergies fossiles.

En Belgique, la reÌ volte des gilets jaunes, initieÌ e par la question du couÌ‚t des carburants, est jusqu’aÌ€ preÌ sent limiteÌ e et contenue. Mais une partie de ceux qui sont si longtemps resteÌ s silencieux n’en a pas moins gros sur le coeur. Et ce qui agite notre grand voisin lui donne l’envie de s’exprimer.

En France, ouÌ€ les traditions de concertation et de compromis sont moins ancreÌ es que chez nous, manifester son ras-le-bol pousse ce « monde des oublieÌ s » aÌ€ tout bloquer, voire aÌ€ tout casser. Comme si ce n’eÌ taient ni les mots, ni les deÌ monstrations pacifiques, qui permettaient de dire que, depuis trop long- temps, ils en ont assez. Assez d’eÌ‚tre abandonneÌ s dans leurs campagnes et leurs petites villes ouÌ€ la vie se meurt au fur et aÌ€ mesure que naissent des centres commerciaux aÌ€ leur peÌ ripheÌ rie. Assez de subir la dictature d’un pouvoir centraliseÌ et eÌ loigneÌ , incarneÌ dans l’image qu’ils se font de Paris, « Ville lumieÌ€re » ouÌ€ tout est or, richesse, bobo et eÌ colo. Assez de courber l’eÌ chine et de se taire, alors qu’ils se disent financieÌ€rement eÌ trangleÌ s face aÌ€ une socieÌ teÌ de consommation qui leur fait miroiter le reÌ‚ve d’une vie meilleure.

Pour eux, c’est bien la crise qui compte. Pas l’eÌ cologie.
« J’eÌ tais venue manifester pour ma fille », deÌ clarait aÌ€ TF1 une jeune gilet jaune que des CRS venaient de molester. « Nous deÌ filons pour nos enfants » ont proclameÌ bien des participants des marches pour le climat. Impossible dialogue ? Peut-eÌ‚tre pas. AÌ€ condition que les dirigeants ne se contentent pas d’estimer que, en communiquant mieux, les reÌ calcitrants reviendront d’eux-meÌ‚mes au bercail.

Les paradigmes bougent. Dans une socieÌ teÌ ouÌ€ tout est numeÌ rique, ouÌ€ les eÌ changes (notamment via les reÌ seaux sociaux) reposent sur l’horizontaliteÌ , une deÌ mocratie baseÌ e sur la deÌ leÌ gation du pouvoir, c’est- aÌ€-dire sur la verticaliteÌ , est en train de se fissurer. AÌ€ sa place, peut-on imaginer une « deÌ mocratie de reÌ seaux », ouÌ€ les eÌ changes et les deÌ cisions se prendraient entre eÌ gaux ? Ce modeÌ€le permettrait en tout cas aux oublieÌ s de la socieÌ teÌ de ne plus se sentir exclus, et leur donnerait une place dans les processus de deÌ cision.

Il y a deux mille ans, ce ne sont pas des rois et des puissants qui, les premiers, se sont preÌ cipiteÌ s aÌ€ la creÌ€che. Mais les oublieÌ s de la socieÌ teÌ de l’eÌ poque : des paÌ‚tres isoleÌ s dans leurs campagnes, avec comme seule leÌ gitimiteÌ celle de garder des brebis. Sans avoir rien aÌ€ dire. Leur passage aÌ€ l’eÌ table n’a pas changeÌ le monde. Mais celui qu’ils ont visiteÌ , lui, l’a transformeÌ . Et son message s’adresse aux oublieÌ s de tous les temps. Relever et redonner aujourd’hui leur digniteÌ aux « oublieÌ s » s’inscrit dans la droite ligne du message de Noël.

Frédéric ANTOINE

Rédacteur en chef

Mot(s)-clé(s) : L’édito
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