Pascal Quignard attentif à l’instant présent
Pascal Quignard attentif à l’instant présent
La parution du nouveau livre de Pascal Quignard, Trésor caché, donne l’occasion de découvrir un homme étonné par toute la beauté profonde de la vie qu’il partage avec ses lecteurs au travers d’une démarche d’écrivain aux multiples facettes.
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La bibliographie de Pascal Quignard pourrait faire croire que le rencontrer serait se retrouver face à un homme austère, un savant, un érudit, un détaché du monde. Il n’en est rien. Le roman graphique de Céline Wagner qui le met en scène, Des oiseaux dans le ciel d’un théâtre, permet de découvrir l’homme tel qu’il est dans la vraie vie : quelqu’un de simple, ouvert à l’autre, ébloui par tout ce qui l’entoure, s’émerveillant devant la possibilité que ce qu’il ne connaît pas encore puisse lui être dévoilé. Pour y arriver, tout lui est bon. Il pratique la musique, fait du théâtre, écrit des romans et des traités de toutes sortes, voit ses livres adaptés au cinéma. Il est un curieux de tout.
LA DUALITÉ DES CHOSES
Trésor caché, son nouveau roman lumineux, mêle les couleurs de l’aube à celles du crépuscule. Il s’ouvre sur la narration de l’enterrement d’un chat. D’un de ses chats, ces « êtres qui nous attendent » et qui lui sont si chers, présents dans nombreux de ses livres. C’est cette cérémonie de funérailles peu banale qui aboutira à la découverte d’un trésor bien réel, fait de pièces d’or et de bijoux, permettant à l’héroïne de vivre la vie dont elle rêve depuis toujours.
Dans l’œuvre de Pascal Quignard, la prise en compte de la dualité des choses est omniprésente. « Dans l’expérience humaine des hommes et des femmes, précise-t-il, il y a quelque chose d’étrange qui fait que la sensibilité ne s’accroit que dans les blessures et les souffrances. Le bonheur ne laisse pas beaucoup de traces sur notre peau ni dans notre cerveau. Quand on vit quelque chose d’extrême, qu’on est touché par un deuil, une blessure, un accident de la vie, cela permet de développer une sensibilité plus grande. C’est cela que j’explore et c’est un véritable trésor. Avec le corps, surtout, qui nous offre avec ses cinq sens des possibilités miraculeuses dans leurs fonctionnements, comme les odeurs dans la forêt, celle d’un cèpe ou d’une girolle. Peu importe les noms des choses, c’est une connaissance qu’on n’a pas à l’origine et qu’on acquiert peu à peu à force de sensibilité. Une fois qu’on a multiplié ces sensibilités, on découvre la vie encore plus belle. »
Et cette vie « encore plus belle », l’écrivain l’admire de diverses manières. Par exemple à travers ses fragments et ses essais sur des sujets éclectiques, faisant fi des chronologies et autres classements. « Les fragments me permettent d’accueillir toute ma curiosité. J’ai passé ma vie dans le dictionnaire à chercher le sens des mots. Quelles sont leurs origines et que voulaient-ils dirent lors de leur création ? C’est une quête désespérée car on n’en arrive jamais au bout. Que ce soit dans les dictionnaires de toutes sortes ou au creux de notre mémoire biographique. Cette recherche-là est excellente parce qu’elle met de la distance, un peu de vide entre les mots et nous qui permet de respirer. C’est un bon abîme. »
LE ROMAN COMME UN RÊVE
Des fragments, il y en a bien sûr dans Trésor caché. Ils apparaissent comme des respirations, des pauses, des étonnements, des arrêts sur image. Mais chaque roman pour Pascal Quignard prend la forme d’un conte. « Les romans sont très proches des rêves. Comme dans les contes, c’est une succession de scènes. Qu’elles soient reliées ou non, ce n’est pas très important. Un roman est un ruisseau, une rivière. De plus, dans le roman, le personnage peut guider le lecteur. Multipliant les personnes grammaticales, je me suis rendu compte qu’on ne peut pas exprimer les sentiments de la même manière en disant “je”, “tu”, “il” ou “vous”. Toutes ces formulations-là entraînent des expressions différentes de l’âme. »
Ces expressions de l’âme touchent le lecteur « qui assemble les morceaux, qui agence entre elles des parties et qui compose la partition », comme il l’écrit dans un livre sobrement intitulé Le lecteur. Et d’ajouter : « J’ai toujours pensé que le lecteur était plus intelligent qu’on ne le croyait. Il faut faire confiance à la lecture de ceux qui lisent. Quand le cinéma est arrivé avec sa forme narrative particulière où on coupe sans arrêt, où on passe d’une chose à l’autre, où le temps est morcelé, il a tout de suite été accepté. Alors, ce qu’on peut faire au cinéma, on peut le pratiquer en littérature. Arrêtons les liaisons. Je ne veux pas être pénible pour le lecteur, mais je lui fais entière confiance. » Confiance qu’il accorde aussi à ses personnages, ce qui lui fait dire : « Il est possible que l’amour soit une tendresse pour la solitude de l’autre. »
DÉFRICHER LE MONDE
Solitude, musique, silence. Un personnage de son nouveau roman refuse la musique pourtant « très belle » au profit du vent, et donc du silence. « Je trouve insupportable l’extermination du silence », s’insurge Pascal Quignard, avec une certaine détermination qui détonne chez cet homme calme et posé. « C’est quelque chose qui me blesse profondément. La musique n’a pas sa place en certains moments, en certains endroits. Elle n’a pas à être imposée. La musique doit rester rare. La musique, c’est le silence qui l’ouvre, le silence qui la clôt. Si on retire ces deux silences-là, il n’y a plus de musique. » Et la musique, il la connaît puisqu’il lui-même musicien « amateur éclairé ». Il joue actuellement du piano après avoir pratiqué le violon et le violoncelle. Par ailleurs, Tous les matins du monde a été écrit autour de l’œuvre musicale de Marin Marais et La haine de la musique est une réflexion sur son utilisation dans des lieux où elle n’a pas raison d’être.
Il ne cesse d’explorer tous les aspects d’une question, comme fasciné par les multiples facettes d’un bijou. Et le lecteur de tirer profit de cette recherche permanente qu’il pratique chaque jour de 5h à 10h du matin à travers une quête de ce qui « est perdu, mais pas encore absent ». « Je suis en recherche d’éprouver, de m’ouvrir au monde. Je cherche plutôt ça que moi-même. » Quant à savoir si son œuvre peut être utile à ses lecteurs, il botte en touche : « C’est un supplément, un plus, je n’ai pas cette ambition. J’ai juste besoin d’écrire. Ma vie est belle comme ça. J’écrirais même si je n’étais pas édité. Un peu comme le fait celui qui pratique l’art brut. Que ce soit un fou dans son asile ou quelqu’un qui fait cela chez lui. Qu’on admire ses œuvres ou pas. Il fait ce qu’il a à faire et c’est tout. Je pense que j’ai été fabriqué pour écrire, pour lire au matin. J’aime l’aube et être seul dans mon coin. Je suis un écrivain du matin. Je ne prends pas de vacances, c’est tous les jours pareil. J’ai besoin de cela pour défricher le monde et déchiffrer mes mots. Je cherche juste à élargir ma vision, l’ouvrir au maximum comme on ouvre un livre. »
Christian MERVEILLE
Pascal QUIGNARD. Trésors cachés, Paris, Albin Michel 2025. Prix : 21,90€. Via L’appel : -5% = 20,81€.
Céline WAGNER, Des oiseaux dans le ciel d’un théâtre, Bruxelles, Les impressions nouvelles, 2025. Prix : 19€. Via L’appel : -5% = 18,50€.