Et si nous cessions d’applaudir l’insulte ?
Et si nous cessions d’applaudir l’insulte ?
Bien que la déclaration des droits humains reconnaisse cette liberté individuelle qu’est la liberté d’expression, le Code pénal et la jurisprudence – qui fait loi – obligent à certaines limites. Ainsi, les propos haineux, racistes, sexistes, homophobes ou encore négationnistes sont strictement interdits. À titre d’exemple, ne vous avisez pas d’insulter un magistrat lors d’un procès. Vous risqueriez une amende pour outrage pouvant aller jusqu’à 15 000 €.
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LA PRATIQUE DE L’OFFENSE
Insulte, injure, outrage, sont des propos volontairement offensants dont le but est de blesser. C’est une atteinte à la dignité de l’autre, à son image et à son estime de soi. « Insulter fait du bien ! »prétendent celles et ceux qui s’inspirent de la pensée de ce très savant philosophe de l’Antiquité que fut Aristote. Pour ce dernier, « l’injure apaiserait ce curieux mélange de mal-être et d’envie de vengeance qu’est la colère, cette émotion dans laquelle l’être humain fait l’expérience de l’offense ».
Notez le processus d’apprentissage recommandé au XIXe siècle par Arthur Schopenhauer, philosophe allemand. Selon lui, cet “art” se peaufine : « Pour faire mouche, l’art de l’insulte doit viser juste, c’est-à-dire taper là où cela fait mal. Et pour y parvenir, il n’y aurait rien de tel que la pratique ». Certains de nos contemporains se sont bien entraînés, non ? Face à cette escalade de violence langagière, j’en viens d’ailleurs à me demander si notre espèce, pourtant tellement fière d’avoir progressé lors du Siècle des Lumières, sur le parcours de son évolution, n’a pas déjà franchi le point de (re)basculement vers les ténèbres ?
IL N’Y A PLUS DE RETENUE
Plus l’insulte est cinglante, plus elle fait mouche. Elle devient du divertissement. Les éructations agressives et vulgaires amusent les foules. Elles en redemandent. Elles applaudissent celui qui libère haine et vulgarité sans filtre. Un champion de cet art est désormais président d’un des plus grands États du monde. N’y aura-t-il désormais plus aucune retenue, plus aucun tabou ? Intimité, aspect physique, identité de genre, couleur de peau… tous ces sujets auxquels toute personne respectueuse de son prochain refusait de s’attaquer deviendraient-ils des munitions ?
C’est un peu comme si une partie de l’humanité souffrait subitement d’un syndrome de Gilles de la Tourette, cette maladie neurologique surprenante. Les personnes qui en sont atteintes souffrent de tics et de vocalisations involontaires soudaines. Au cours d’une crise aiguë, certaines tiennent des propos rageurs irrépressibles. Cette maladie n’est pas contagieuse, contrairement à l’agressivité qui s’installe désormais à tous les niveaux de pouvoirs, sur tous les réseaux sociaux, jusque dans nos écoles ; ce déferlement de prétendues vérités volontairement injurieuses, cette libération de la parole jusqu’aux propos extrêmes de la haine.
Si, tout comme Sénèque – philosophe romain adepte du stoïcisme – vous pensez que « faire fi des insultes est l’ultime vengeance devant une bordée de jurons », il vous est loisible de refuser d’entrer dans la partie de bras de fer d’une agression insultante. Il vous est douloureux de vous taire ? Vous pourriez alors opter pour la pirouette théâtrale de l’adage populaire qui prétend que la bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe. Moi qui trouve cette formule un peu vieillie, je préfère rétorquer à l’insulte, en souriant, Never wrestle with a pig. You’ll only get dirty and the pig likes it. (Ne pratique jamais le catch avec un cochon. Tu ne feras que te salir et ça fait plaisir au cochon). Cette formule stoppe généralement un agresseur verbal, d’autant plus s’il ne pratique pas la langue de Shakespeare.
Josiane WOLFF, Administratrice de Laïcité Brabant wallon