Femmes pasteures : un modèle pour l’Église catholique ?
Femmes pasteures : un modèle pour l’Église catholique ?
Alors que l’Église catholique n’admet pas les femmes prêtres, dans le protestantisme, le pastorat s’est féminisé il y a environ un siècle. Pourquoi cette différence ? Le livre de Lauriane Savoy, Pionnières. Comment les femmes sont devenues pasteures, ouvre une réflexion intéressante.
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Père catholique et mère protestante : la théologienne et historienne Lauriane Savoy a grandi dans cette double culture, fréquentant à la fois les Églises catholique et protestante. Elle a dès lors trouvé très étrange que les femmes ne puissent pas être prêtres, alors que le pastorat leur était ouvert depuis un siècle. Dans son essai, Pionnières. Comment les femmes sont devenues pasteures, elle raconte le chemin de ces protestantes. Un parcours long et émaillé de luttes contre tout un tas de préjugés sexistes et paternalistes, où la question du pouvoir notamment était bien présente. On découvre qu’avant d’occuper cette fonction, elles ont dû accepter d’être, pendant plusieurs décennies, des « pasteurs au rabais ». Elles ont été contraintes d’attendre, comme dans tous les secteurs de la société, de pouvoir accéder aux études, le diplôme en théologie étant la condition indispensable pour remplir les missions propres à cette charge : commenter les Écritures et prêcher.
ÉPOUSES ET FILLES DE
La théologienne et bibliste catholique Anne Soupa, qui signe la préface du livre, admire le courage et la détermination de celles qui ont ouvert une brèche. Leur histoire pourrait inspirer une réflexion sur la situation des femmes dans l’Église catholique. Voire sur une évolution possible. Même si, selon elle, les différences entre les deux religions rendent intransposable comme telle, du côté catholique, l’expérience de ces pionnières. Une première rupture décisive entre les deux confessions relève du domaine sociologique. En effet, les pasteurs ne sont pas tenus au célibat. Et c’est notamment la cellule familiale qui a rendu possible cette féminisation. Depuis la Réforme, les femmes côtoient de près le pastorat en tant qu’épouses de pasteur. Certaines de leurs filles ont d’ailleurs été les premières à revendiquer le droit d’accéder au ministère. Et à l’obtenir.
Anne Soupa constate qu’évidemment « l’on ne pourrait pas, en monde catholique, favoriser l’accès à la prêtrise des femmes et des filles de prêtres, comme on vante ici la contribution décisive de celles de pasteurs », puisque les prêtres ne sont pas mariés. « Cette différence, continue-t-elle, illustre le poids considérable du célibat ecclésiastique dans le paysage catholique ». Pourtant, à l’origine, au XIIe siècle, il n’était qu’une discipline non définitive. S’est greffée sur ce choix obligatoire du célibat, une sacralisation de l’état de prêtre.
LA QUESTION DU SACRÉ
Cet aléa de l’histoire de l’Église amène à évoquer une seconde différence, d’ordre théologique cette fois-ci. Dans le protestantisme, le pasteur n’est pas un personnage sacré censé représenter personnellement le Christ. Cette vision a permis aux femmes d’accéder plus facilement au pastorat. Dans l’Église catholique, le prêtre est considéré comme l’intermédiaire entre Dieu et les fidèles, notamment dans l’exercice des sacrements de réconciliation et de l’eucharistie. On dit qu’il personnifie le Christ. Il faut ici souligner qu’au début du christianisme, pourtant, le responsable d’une communauté n’était pas prêtre. Il était choisi en son sein pour son ancienneté. Ce n’est que progressivement que le discours théologique l’a rendu sacer, c’est-à-dire sacré. Cette identification au Christ a verrouillé, dans le catholicisme, toute évolution vers une féminisation du ministère sacerdotal. Dans cette logique, une femme ne peut évidemment pas devenir prêtre.
LE CALQUE DE LA DÉMOCRATIE
Une troisième différence tient au fonctionnement de l’Église réformée : son organisation, calquée sur celle de la démocratie, est décentralisée. Ce qui permet de faire des choix autonomes. Par exemple, en Suisse, dans le canton de Vaud et dans la région de Genève, dont il est question dans Pionnières, les membres d’une assemblée protestante ont le droit d’élire des représentants à leurs synodes. Grâce à l’obtention de ce droit de vote, longtemps uniquement attribué aux hommes, elles ont pu orienter la gestion de leurs communautés. Avant d’être elles-mêmes éligibles. Ce qui a accéléré aussi leur prise de parole dans le processus de féminisation de la fonction de pasteur.
« Les comportements des femmes protestantes, note Anne Soupa, peuvent nourrir nos stratégies émancipatrices. » Quels sont ces comportements ? En premier lieu, le fait de rendre service. Elles « ont pris en main des services non encore ou insuffisamment rendus ». Au point d’apparaître comme indispensables. En second lieu, « elles ont utilisé le langage des genres, celui des hommes. (…) Elles ont su accepter et même vanter ce qu’on leur prêtait : douceur, patience, réserve, discrétion, etc. » Peut-être est-ce de cette manière que devraient procéder les femmes catholiques aujourd’hui, se demande la préfacière. Mais sans doute le font-elles déjà dans l’Église catholique sans que cela se soit révélé concluant pour faire avancer la cause.
FEMMES ET POUVOIR
Dans le livre Espérez, coécrit avec Christine Pedotti, Anne Soupa évoque la question du pouvoir dans le catholicisme comme lieu de tous les dangers. Elle souligne que Jésus n’avait pas envisagé la création d’un corps de prêtres et qu’il a insisté sur la notion de service comme attitude adéquate dans tout ministère. Les deux autrices regrettent que sous le couvert du “service”, beaucoup d’hommes d’Église exercent en réalité un pouvoir qu’ils appuient sur le sacré. « Il y a, écrivent-elles, une intense réflexion à mener sur le bon gouvernement d’une Église (du grec ecclesia qui désigne tout simplement une assemblée) en christianisme. »
En allant plus loin dans cette logique, qu’est-ce qui empêche une femme d’être au service d’une communauté et, de ce fait, d’en être reconnue comme la responsable, terme que l’on préférera à celui de prêtre, puisque c’est bien de service qu’il s’agit ? D’autant que le fait de servir n’est pas genré. Mais tant que l’on reste dans un « entre-soi qui laisse penser que l’on est un corps de purs, (…) ce que confirme la sacralisation dont la fonction du prêtre fait l’objet », il n’y aura pas d’avancée possible pour une réflexion sur un ministère incluant les femmes.
Chantal BERHIN

LAURIANE SAVOY, Pionnières. Comment les femmes sont devenues pasteures, Paris, Labor et Fides, 2023. Prix : 24,10€. Via L’appel : – 5% = 22,90€.