Soumaya Hallak : « Le chant est le reflet de l’âme »
Soumaya Hallak : « Le chant est le reflet de l’âme »
« Ma démarche est plus spirituelle que religieuse », explique Soumaya Hallak. Cette jeune femme d’origine syrienne établie en Belgique a créé l’association 1,2,3 Hope, Love, Life for Peace. Avec elle, elle mène à Alep des activités en musicothérapie auprès d’enfants et de femmes meurtris par la guerre. Tout en poursuivant sa carrière de chanteuse lyrique.
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C’est une carcasse famélique en métal de sept mètres de haut, assemblage de seaux vides et secs. Après avoir été aperçue le 22 mars devant la Bourse de Bruxelles, la statue de la Spoliation a pérégriné le 7 décembre dernier dans le quartier européen. Avant de s’arrêter place du Luxembourg pour rappeler que l’eau, désormais cotée en bourse, est un bien commun de l’humanité en voie de raréfaction. Elle était accompagnée de son créateur, le maître-verrier et romancier Bernard Tirtiaux, et de plusieurs comédiens, musiciens et chanteuses. Dont la soprano Soumaya Hallak. Le 12 janvier prochain, sous le chapiteau du cirque Bouglione place Flagey à Ixelles, dans le cadre du spectacle Ados d’arbres destiné à alerter sur le harcèlement, les abus sexuels et le suicide des jeunes, différents artistes se produiront. Dont Soumaya Hallak. Ces deux événements ne sont en rien une exception dans le parcours de cette chanteuse lyrique de trente-neuf ans qui met ses talents au service de causes humanitaires.
ALTERNATIVE ET ÉCLECTIQUE
Soumaya Hallak est née à Genève d’une mère suisse et d’un père syrien. À trois ans, elle se rend régulièrement chez les Frères Jacques avec qui sa grand-mère est très amie. Après s’être essayée au piano, elle découvre le chant et, à huit ans, elle tient son premier solo dans la comédie musicale Cats. En 2009, elle est diplômée de la Chapelle Reine Élisabeth, où elle rencontre José van Dam qu’elle retrouvera à plusieurs reprises. « Le chant me sauve la vie, il est le lieu de tous les possibles. Il me permet de transmettre des émotions que l’on ne peut transmettre par la parole. Il est le reflet de l’âme », s’enthousiasme celle qui se définit comme « alternative et éclectique », aimant faire des pas de côté. Outre le répertoire classique (Mozart, Haydn, Gounod, Berlioz, Massenet…), elle a par exemple chanté dans une adaptation de L’œuvre au noir de Marguerite Yourcenar au Théâtre des Martyrs et a accompagné le comédien Pietro Pizzuti sur des textes de Michelle Melun. En 2021, elle a créé la pièce Eva Ave Salve de Jean Paul Dessy avec l’Orchestre national de Belgique. Elle associe aussi sa voix au piano de Jean-Philippe Collard (Prière pour Alep) et au violoncelle de Suzanne Vermeyen (duo Vo’Cello). Et, en décembre 2020, dans le cadre du festival Musiques sacrées, elle a chanté a capella dans la chapelle de l’hôpital Saint-Louis d’Alep, en Syrie.
Ce pays est fondamental dans son parcours artistique et humain. Plusieurs fois par an, elle allait à Alep d’où son père est originaire. Mais, à partir de 2011 et le début de la révolte du peuple contre Bachar el-Assad, cela devient impossible. Tournant« comme un lion en cage », elle veut y retourner pour y être utile, principalement auprès des enfants. Recourant à la technique Jacques-Dalcroze, une pédagogie inventive qui travaille sur le mouvement, elle organise des ateliers de chants en conscience, découvrant les bienfaits de la musique. En 2017, elle parvient à se rendre à Damas où elle donne des cours de chant accompagnés de techniques de respiration, le travail musical se transformant en musicothérapie. En décembre, elle arrive à Alep où, dans un premier temps, elle est épaulée par les maristes bleus, des Frères principalement actifs sur le terrain éducatif. « Je suis partie avec l’idée de faire chanter tout le monde. Sur place, je me suis rendu compte de l’horreur du terrain. Certains parents ne vous donnaient pas les enfants s’ils n’avaient pas à manger. C’est pourquoi, avec d’autres associations, on a mis en place des distributions alimentaires. L’association Écoliers du monde m’a beaucoup soutenue en me fournissant du matériel. Avec l’école Notre-Dame d’Evere, on a réalisé quatre cents mains pour la paix, belges et syriennes. »
OUVRIR LES CONSCIENCES
À Alep, Soumaya fait chanter et danser des enfants issus de familles extrêmement pauvres qui n’ont toujours pas d’électricité et dont les pères ont parfois été des rebelles. « Je voudrais ouvrir les consciences, les champs des possibles, pour montrer qu’il existe autre chose. Je suis chrétienne, mais je m’adresse à toutes les confessions. J’aimerais retrouver le vivre-ensemble qui existait jadis. Au début, ces enfants nous arrachaient nos habits pour avoir quelques pop-corn, comme en décembre 2020 lorsque je suis arrivée déguisée en père Noël. Maintenant, ils disent bonjour. C’est un travail de colibri. » En référence à la comptine 1,2,3 Soleil, elle a créé l’association 1,2,3 Hope, Love, Life for Peace, dont le siège social est à Bruxelles, où elle s’est installée. « On chante, on fait du mouvement, de la respiration. Je recours à des objets transitionnels qui ont le nom de mon association : amour, espoir, paix. On chante le oui à la vie, on travaille sur la douceur, sur la communication non-violente. Mais quand les jeunes filles commencent à avoir leurs règles, leur père ne les laissent plus sortir. On essaie aussi de travailler là-dessus. Il y a d’ailleurs peu d’hommes. Or j’aimerais travailler avec eux sur la violence. »
En 2018, Soumaya Hallak est sacrée Femme de Paix au Sénat belge. « Cette reconnaissance, c’est un peu comme chanter au Metropolitan, se réjouit-elle. C’est un encouragement à continuer pour tous les Syriens. » À cause de sa présence dans ce pays en guerre, elle est pourtant attaquée sur les réseaux sociaux. « Je paie le fait d’être issue d’une famille privilégiée chrétienne. Les chrétiens sont soi-disant pro-Bachar, comme tous ceux qui rentrent au pays. Or je ne fais pas de politique. C’est une démarche spirituelle plus que religieuse, de recherche de lumière. Toutes les organisations là-bas font le travail à la place de l’État. C’est très féministe d’aller dans un quartier où la femme est oppressée et d’essayer d’ouvrir les consciences. Je porte vraiment la mission d’aider les gens par le chant. »
UN LIEU DE BEAUTÉ
Dans la ville côtière de Banias et dans un village chrétien proche, elle a créé deux groupes de fanfare qui favorisent la cohésion sociale. À Alep, elle va ouvrir un centre culturel et d’art-thérapie dans une grande maison qui sera « un lieu de beauté ». Elle soutient aussi le projet Heartmade où des femmes redonnent vie à des objets usagés. Elle-même porte un manteau confectionné avec des bouts de tissus retrouvés dans le caravansérail de la soie. Si sa carrière musicale a un peu « pâti » de cette activité humanitaire, la chanteuse lyrique a pourtant plusieurs projets en cours. Revenant d’une tournée en Colombie, elle a donné un concert de Noël ce 21 décembre dans l’église Saint-Martin de Lens (près de Jurbise), avec la harpiste Maria Palatine et la conteuse Stella Marquet. En janvier prochain, elle tiendra le rôle d’Agnès dans l’opéra Morgane de Bertrand Roulet enregistré en Suisse. Et elle travaille à la création d’un opéra sur les migrations entre l’Orient et l’Occident.
Michel PAQUOT
Infos : soumayahallak.com/ facebook.com/hallaksoumaya/