Une touchante histoire de famille

Une touchante histoire de famille

Le covid a tué, détruit, abîmé, des centaines de milliers de personnes de par le monde. Mais, à travers les confinements, cet implacable virus n’a-t-il pas aussi, malgré lui, produit des effets positifs ? Serge Joncour se pose la question dans son chaleureux dernier roman.

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Publié le

1 septembre 2023

· Mis à jour le

6 mars 2025
Photographie portrait du visage de Serge Joncour, une main posée sur son menton

Tout le monde se souvient de ce qu’il faisait le 11 septembre 2001 lors de l’effondrement des tours du World Trade Center. Mais se rappelle-t-on le moment où l’on a appris l’entrée en vigueur du premier confinement ? Et a-t-on gardé en mémoire l’effet que cette nouvelle a produit sur chacun ? Peut-être pas. Pourtant, cet événement-là aura finalement davantage marqué la vie (et les choix de vie) de tous les humains que l’attaque terroriste sur New York. Cette quasi-universalité du covid et l’usage romanesque qui peut en être fait constituent une des subtilités de Chaleur humaine, le dernier livre de Serge Joncour dont l’opus précédent, Nature humaine, a obtenu le Prix Femina en 2020.

ROMAN TOTAL

Dans ce que l’éditeur nomme lui-même en quatrième de couverture un « roman total », l’auteur immerge petit à petit son lecteur dans un vécu très récent dont il a été proche. Il lui fait revivre, à travers les épopées des membres d’une famille (déjà présents dans son livre précédent), des moments plus ou moins semblables à ceux que tout un chacun a expérimentés en mars 2020 : d’abord, la période du déni face au virus, puis celle de la minimisation des risques, le moment de la montée en puissance des peurs et des craintes, celui des implacables décisions politiques, enfin la vie en confinement et son long étirement dans la durée. La plupart des lecteurs retrouveront dans ce livre une sorte de miroir d’eux-mêmes. Car Joncour s’empare de cette crise pour bâtir le cadre dans lequel chacun de ses personnages révélera son être profond, au travers des manières qu’il aura d’appréhender et de vivre les divers moments de la crise. 

Chaque membre de la famille incarne un type d’être humain. Il réagit différemment face aux événements. Grâce à eux, Joncour dresse donc une panoplie de modèles dont on ne peut que saluer la justesse. Tous ces personnages faisant partie d’une même famille, il peut ainsi non seulement les typer, mais aussi jouer sur les chocs de leurs caractères et sur leurs interactions, plus ou moins aisées. De tout cela ressort un touchant portrait familial dont le lecteur éprouvera des difficultés à se départir. Même s’il n’a pas lu Nature humaine.

Et pourtant, en début de texte, on éprouve la sensation de ne pas se trouver au cœur du sujet :  en janvier 2020, au fin fond du Lot, la nature paraît fort précoce à Alexandre, qui a repris les Bertranges, la ferme de ses parents. Il partage ce souci avec sa compagne, qu’il ne voit que de temps en temps. Mais, à part ça, R.A.S… Ce n’est qu’avec le temps que, lentement, on entrera dans les infos des médias, rapportant des nouvelles provenant d’abord d’Asie, évoquant une maladie étrange dont il arrive qu’on ne se remette pas. Des news qui, au fil des jours, deviendront de plus en plus proches et stressantes, et commenceront à inquiéter les sœurs d’Alexandre, tout aussi urbaines que lui est rural, mais avec qui il n’entretient plus de très bonnes relations depuis qu’elles ont fait installer, près de sa ferme, d’immenses éoliennes sur un terrain reçu en héritage…

BIENVEILLANCE

Parfois avec beaucoup de naturel, et à certains moments un zeste d’humour ou de clin d’œil complice, Joncour se nourrit ensuite des moments clés de l’invasion du virus en France pour les faire s’incarner dans ses personnages, tous forcés de choisir comment continuer à vivre alors qu’on ne peut échapper à l’impérieuse nécessité de ne plus sortir de chez soi. Pour tout le monde dans la famille, la solution tombe alors d’elle-même : en pareille situation, y aurait-il mieux que les Bertranges ? Mais est-il si facile de renouer après des années d’évitement ? Tous les caractères peuvent-ils trouver place dans cette sorte d’Arche de Noé qui n’aurait pas pris l’eau ? L’histoire, alors, se complique et se remplit de sous-récits où l’ombre du covid ne cesse de se manifester. Avec, en arrière-fond, une idée. Celle qui traverse finalement tout le roman : cultiver la bienveillance. En nommant son roman Chaleur humaine, Joncour ne pouvait pas être plus près de son sujet. Une chaleur dont l’humanité a de plus en plus besoin. Surtout quand elle est partagée entre frères et sœurs, parents et enfants, amis et êtres chers.

Frédéric ANTOINE

Serge JONCOUR, Chaleur humaine, Paris, Albin Michel, 2023.

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