Carlo Luyckx : « Le bouddhisme n’est pas prosélyte »
Carlo Luyckx : « Le bouddhisme n’est pas prosélyte »
Le bouddhisme sera prochainement reconnu par l’État, au même titre que les religions et la laïcité. En tant que président de l’Union bouddhique belge, Carlo Luyckx incarne cette spiritualité dans le pays.
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« Je suis tombé sur le bouddhisme et cela a été pour moi un déclic. » Issu d’une famille catholique, Carlo Luyckx va voir, à 16 ans, du côté des philosophies orientales : taoïsme, yoga, hindouisme…« À 17 ans, raconte-t-il, je suis allé en Écosse où se trouvait le premier monastère bouddhiste d’Europe. Je m’y suis rendu pour “prendre refuge”, c’est-à-dire, prendre la décision de suivre la voie du Bouddha. J’ai alors quitté l’école pour l’académie des beaux-arts. J’ai fondé un premier centre en 1974, et ensuite un centre ici à Bruxelles. En même temps, j’ai fait des petits boulots pour gagner ma vie. Je voulais aussi me rendre en Écosse pour m’initier à la peinture des Tankas, qui est un art sacré. Il y avait là un maître tibétain et j’ai voulu apprendre avec lui. Il a d’abord refusé. Mais, en 1977, il a accepté et, pendant sept ans, j’ai fait des allers-retours avec la Belgique. »
« À 30 ans, j’ai compris que j’étais un peu devenu “jusqu’au bouddhiste”. J’ai pourtant repris des études parce que j’ai compris que, si je voulais partager la philosophie bouddhiste, il fallait que je comprenne vraiment comment vit notre société. J’ai suivi à l’ULB des cours en science politique et en droit international. Comme je devais aussi gagner ma vie, j’ai créé le bureau de liaison Bruxelles-Europe pour bien accueillir l’Europe à Bruxelles. Je me suis aussi engagé en politique à Saint-Gilles où j’ai été échevin pendant dix-huit ans. Aujourd’hui, je suis bouddhiste à plein temps. »
LE BOUDDHISME EN OCCIDENT
Le bouddhisme est né il y a presque deux mille six cents ans. Il s’est répandu à partir de nombreux pays orientaux, comme la Chine, le Tibet ou la Mongolie. « Il n’est pas du tout prosélyte, insiste Carlo Luyckx. Il faut vraiment marquer de l’intérêt pour devenir bouddhiste. Dire simplement qu’on le veut n’est pas suffisant. C’est une démarche sérieuse. »Pourquoi le bouddhisme s’est-il répandu en Occident alors qu’il est né en Orient ? « C’est vraisemblablement parce qu’il y a une forme d’ouverture sur la tolérance », répond Carlo Luyckx. Pour la Belgique, il faut aussi évoquer les apports du Père Bernard de Give, trappiste à l’abbaye de Scourmont, qui a vécu jusqu’à 107 ans. « Il s’était fait initier au bouddhisme dans un monastère tibétain en Inde, tout en restant catholique. Il a ensuite beaucoup fréquenté le monde bouddhiste, et était devenu un grand ami du Dalaï-Lama. Lorsque ce dernier est venu en Belgique en 2016, il a dit que, lorsqu’on disposait de tout ce qu’il fallait dans sa propre spiritualité, il ne fallait pas devenir bouddhiste. Au contraire, ce qui est important c’est d’approfondir sa propre tradition spirituelle. »
ENFIN (PRESQUE) RECONNU
En Belgique, depuis 2006, le bouddhisme souhaitait être reconnu par l’État comme spiritualité non confessionnelle, au même titre que les autres cultes et philosophies. « L’article 182 de notre Constitution parle de la subsidiation des cultes, mais aussi des philosophies non confessionnelles », rappelle Carlo Luyckx. En mars de cette année, le Conseil des ministres a marqué son accord sur un projet de loi qui fera du bouddhisme la huitième conception philosophique reconnue en Belgique. Pour que cette reconnaissance devienne officielle, il faudra encore attendre : le projet de loi doit être soumis pour avis au Conseil d’État et aux entités fédérées, et il doit recevoir un vote favorable au Parlement fédéral. Cela fait quelques années que l’État accorde un subside provisoire à l’Union bouddhique belge (UBB), qui regroupe trente-cinq associations bouddhiques présentes en Belgique, afin de lui permettre de subvenir à ses frais de fonctionnement et de préparer sa reconnaissance officielle. Lorsque celle-ci sera obtenue, le bouddhisme sera financé au même titre que les autres cultes et philosophies.
SE RÉPANDRE DANS LA SOCIÉTÉ
« Si cette reconnaissance a des avantages financiers, le bouddhisme en Belgique a aussi, par le passé, pu vivre sans subsides, commente celui qui sera le représentant officiel de l’UBB. Un élément important pour nous est de pouvoir entrer dans les prisons. Là où la direction l’accepte, cela se fait déjà, grâce à des bénévoles. Mais des personnes pourraient être rémunérées pour y aller. » Carlo Luyckx pense qu’utiliser le temps de l’emprisonnement pour réfléchir et penser à la réinsertion est important, et estime que le bouddhisme pourrait être un élément et partie prenante de cette démarche. « Le bouddhisme possède des techniques pour travailler toutes ces questions. La reconnaissance pourra aussi aider à inviter des maitres bouddhistes. Elle serait aussi intéressante pour l’enseignement. Mais il faut pour cela une interprétation juridique de l’article de la Constitution qui parle de morale non confessionnelle. La morale laïque donne des cours qui ne sont pas neutres. Cela pourrait être la même chose pour le bouddhisme. »
L’an dernier, Carlo Luyckx a publié un essai, L’intégrité en politique : une utopie ?, avec un avant-propos du Dalaï-Lama et une préface de Matthieu Ricard. Il y pose des questions existentielles à partir de sa philosophie bouddhiste.
LES NIVEAUX DE BOUDDHA
Le Bouddha a donné plusieurs enseignements dans sa vie. Le premier est le “bouddhisme des anciens”. Il est la première forme du bouddhisme commune à tous. Dans les pays du sud, l’accent y est surtout mis sur la vie monastique, avec des vœux et un appel au renoncement. « On apprend comment se détacher de ce qui n’est pas essentiel. On considère que, s’il y a de la souffrance, celle-ci n’est pas doloriste. Cela est dû à de la frustration, de l’insatisfaction, l’impossibilité d’être heureux. Les moments de joie sont éphémères. Ce bouddhisme-là est une manière de calmer l’esprit. Il s’agit d’éviter de causer la souffrance pour autrui, et au contraire de mettre tout en œuvre pour trouver du bonheur pour autrui. Le plus important est de maitriser l’esprit. »
Le deuxième niveau est “le grand véhicule”. « On pense d’abord aux autres. Cet altruisme possède deux aspects très importants : la compassion illimitée et atteindre ce qu’on appelle l’éveil. Comme le nom du Bouddha, qui veut dire “l’éveillé”. C’est un mélange d’amour, de compassion et de sagesse. Les prières ne sont pas adressées à un Dieu, mais consistent plutôt à formuler des souhaits pour que tous les êtres puissent atteindre l’éveil. » Enfin, il y a ce qu’on appelle – par erreur – le “bouddhisme tibétain”, alors qu’il est également présent en Mongolie et au Bhoutan. « Bouddha dit qu’il n’y a pas de moi. C’est du moi que jaillissent cinq fonctions perturbatrices : la jalousie, l’orgueil, la colère, la cupidité et la confusion. Le but est de travailler ces émotions pour les transformer. Et d’abord l’émotion perturbatrice qui est la plus forte. Notre pire défaut devient alors le levier pour atteindre l’éveil à partir des mantras qui sont des sons, des vibrations. »
Paul FRANCK