L’amour a besoin de vous
L’amour a besoin de vous
On oppose à la culture juive son soi-disant manque d’amour, en s’appuyant sur le « aime ton prochain » qui, en fait, est fondateur du judaïsme.
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La vision chrétienne a longtemps opposé l’amour et la loi, présenté l’amour comme sa vision propre et attribué la loi (implacable) au judaïsme. Le monde chrétien (2,5 milliards de personnes) se réfère au célèbre « aime ton prochain comme toi-même » cité par Jésus, mentionné par Marc (12 :31), alors que le monde juif (15 millions) a peu de chance de mettre en avant la version initiale, celle du Lévitique (19 :18). Aujourd’hui, après Vatican II, une bonne partie du monde chrétien a pris conscience de l’importance de réviser son approche vis-à-vis du judaïsme. Cependant, cette révolution s’est-elle effectivement opérée ? Le principe d’amour est-il mentionné en rappelant son origine et en évoquant la continuité de l’enseignement de Jésus à ce sujet ? Le biais contre les juifs est-il corrigé dans nos sociétés ?
SITUATION PARADOXALE
La situation est paradoxale. On oppose à la culture juive son soi-disant manque d’amour, en s’appuyant sur le « aime ton prochain » qui, en fait, est fondateur du judaïsme. Ce paradoxe est douloureux. Qui, parmi vous, lecteurs et lectrices de cet article, est prêt à rétablir cette injustice ? Seriez-vous prêt·e·s à intervenir publiquement en ce sens ? Cette question n’est pas théorique. J’ai récemment pris part à une rencontre interreligieuse au cours de laquelle la question s’est posée, et je me suis sentie seule. Mes sentiments m’appartiennent, et j’ai dépassé par la suite ce sentiment handicapant de solitude, je me sens maintenant pleinement en alliance avec toutes les personnes qui s’engagent effectivement pour l’amour. Et ceci demande du courage. Et cet article a pour but de mobiliser nos réflexions et nos courages.
La question de l’utilisation du principe juif « aime tes proches » contre le judaïsme lui-même ne se pose pas toujours de façon simple. Personne, au cours de cette rencontre, n’a dit : « Jésus a dit aime tes proches comme toi-même, les juifs refusent l’amour et ne sont que dans la loi, nous devons les écarter et les remplacer ». Cette théologie de la substitution et du verus israel, après vingt siècles de prédominance, a été écartée dans les années 60. Cependant, ce jour-là, les débats ont été précédés d’une pièce de théâtre : Jacques, Pierre et Paul y discutaient du christianisme. Pierre et Jacques soutenaient que l’apport de Jésus était le « aime tes proches comme toi-même », au contraire de Paul. Où est alors le problème ? Le voyez-vous ? Après tout, il n’était pas question du judaïsme ici !
FAIRE LA DIFFÉRENCE
Le problème réside exactement dans cette dernière affirmation. Le contexte entier est juif, sans que ce soit mentionné. Pierre et Jacques étaient ringardisés, en tant que chrétiens-juifs. Paul était valorisé, ayant dépassé l’aspect juif et étendu l’amour à l’étranger. Pourtant, ces deux aspects de l’amour de l’autre sont soulignés dans la Torah : « Ne te venge ni ne garde rancune contre les enfants de ton peuple, je suis l’Infini. » (Lévitique 18 :18) « L’habitant étranger sera pour toi comme un citoyen à part entière et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été des habitants étrangers en terre d’Égypte, je suis l’Infini votre guide. » (Lévitique 18 : 34)
Je vous interpelle ici parce que je ne peux pas faire avancer l’amour sans vous. Aujourd’hui, en Israël, certains rabbins tiennent des propos hallucinants, inadmissibles, dangereux, et infondés. Confrontée à ce type de paroles dans ma jeunesse, j’ai pris mes responsabilités, je suis devenue rabbin, j’ai acquis les moyens de contrer ces idées. Le judaïsme que je représente est majoritaire, mais même ainsi, votre pouvoir est supérieur au mien. Le rapport est à 1000 pour 6. Mettre ces idées prétendument juives en avant, même pour les critiquer, revient à leur donner du poids. Si le monde chrétien, ou de culture chrétienne, décide de suivre l’influence de son passé, de considérer les juifs comme haineux, de mettre les juifs haineux au premier plan, alors le judaïsme réel, ancien, vivant, porteur d’une sagesse d’amour, n’a aucune chance. Vous pouvez faire la différence.
Floriane CHINSKY, Docteure en Sociologie du Droit, rabbin à “Judaïsme en Mouvement”