Dans les bibliothèques : bien plus qu’un prêt de livres
Dans les bibliothèques : bien plus qu’un prêt de livres
Le décret de 2009 a considérablement modifié le rôle des bibliothèques publiques en Fédération Wallonie Bruxelles. Elles ne se contentent plus de prêter des livres, mais doivent également se consacrer à l’éducation permanente et au développement des pratiques langagières. Les bibliothécaires sortent aussi de leurs murs pour aller à la rencontre de publics extrêmement variés qui ne viennent pas à eux, dans des écoles, des homes, ou dans des villages et quartiers excentrés à bord de leur bibliobus.
Publié le
· Mis à jour le

« Madame, je peux vous poser quelques questions, c’est pour un devoir pour l’école ? » « Bien sûr, Zouhair », répond tout sourire Marie-Claude, bien qu’un peu surprise. Le petit Marocain de 9 ans, venu avec sa maman et une copine, elle le connaît bien, elle l’a vu grandir. Comme chaque mercredi après-midi depuis plus de dix ans, l’ancienne logopède a arrêté son bibliobus boulevard du Hainaut, à Mouscron, dans le quartier du Mont-à-Leux limitrophe de la frontière française et de Tourcoing. Elle connaît aujourd’hui quasiment toutes les familles de ce quartier multiculturel. Sa camionnette bourrée de livres de toutes sortes, des albums pour tout-petits aux polars, des romans pour ados à ceux du terroir, a été baptisée Biblioroule et est joliment décorée de dessins multicolores. Elle stationne tout au long de la semaine en différents points de la petite cité hennuyère – une place de marché, l’hôpital, près d’une école, etc. – afin de pouvoir toucher des publics les plus divers possibles. « Le contact humain est fondamental, on s’attache aux gens, explique-t-elle. Nous sommes là pour créer du lien social. Des personnes passent parfois simplement pour dire bonjour, discuter ou s’assoir quelques minutes. »
ATELIERS POUR ENFANTS
À peine arrivée, si le temps le permet, Marie-Claude sort une table et un mange-debout qu’elle garnit d’ouvrages pour enfants, ainsi que quelques chaises. En effet, en plus de prêter des livres, elle organise des ateliers de coloriage, de découpage, origami, etc. Elle se souvient avec émotion d’une animation en hommage à un auteur au cours de laquelle les jeunes participants avaient peinturluré les pavés de la place. Elle aime aussi lire des histoires et raconter des contes. Et, de temps à autre, elle offre même à goûter. Sur cette artère d’un quartier populaire, comme au square Pierre Cocheteux plus résidentiel, dans la commune d’Herseaux, ce sont en effet principalement des enfants qui viennent emprunter des ouvrages.
« Le contact humain est fondamental, nous sommes là pour créer du lien social. »
« Il y a des livres bizarres », s’étonne une fillette dans un éclat de rire, brandissant l’album intitulé Comment ont fait les bébés ? « Ils disent que c’est une cigogne qui les apporte. » Lorenzo, adolescent d’origine égyptienne, après avoir dévoré tout Harry Potter, reste dans un registre proche en réservant les trois premiers tomes des Secrets de l’immortel Nicolas Flamel. En première au collège, il a eu 95% en français, matière qu’il aimerait enseigner plus tard. Jaillit ensuite une petite blondinette qui vient tout juste d’entrer à l’école primaire et veut tout prendre, même ce qu’elle a déjà lu. Elle ressort avec un tas d’ouvrages très divers qu’elle a quinze jours pour engloutir. Quelques minutes avant de plier bagage, le Biblioroule reçoit la visite d’un habitué, Christophe, l’un des seuls adultes à le fréquenter au Mont-à-Leux. Il prend possession des bandes dessinées que Marie-Claude a choisies pour lui, en fonction de ses goûts qu’elle connaît bien, depuis le temps. Cette fois-ci, c’est une trilogie sur la guerre d’Algérie.
La bibliothèque de Mouscron s’est, comme ses consœurs, diversifiée ces dernières années, développant par exemple le département ludothèque, sur place ou en prêt. Elle propose aussi un portage à domicile dont bénéficient des personnes incapables de se déplacer. « On peut rester jusqu’à une demi-heure chez eux car on est parfois l’une de leurs rares visites de la semaine », confie Charles, qui se rend régulièrement chez une lectrice qui réclame les livres dont elle a vu les auteurs à La Grande Librairie, sur France 5.
AU-DELÀ DU LIVRE
« Le décret de 2009 a profondément modifié le métier de bibliothécaire, explique Françoise Dury, présidente de l’APBFB (Association des Professionnels des Bibliothèques Francophones de Belgique) et bibliothécaire en chef du Département Lecture publique de la Province de Namur. Aujourd’hui, nous sommes aussi là pour écouter la demande et nous ouvrir bien au-delà du livre. Pas seulement en termes de supports (livres, CD, DVD, vinyles, journaux et périodiques, jeux, matériel d’animation…), mais également d’actions culturelles. Néanmoins, si cette médiation a acquis une place très importante, nous ne sommes pas pour autant devenus des centres culturels, le livre et la langue restent au centre. »
Créée en 1975, l’APBFB (ex-APBD), qui se partage ce secteur avec la Fédération Interdiocésaine des Bibliothèques et Bibliothécaires catholiques (FIBBC), fédère des individus et non des institutions et comprend environ deux cent cinquante membres. Elle les représente auprès de diverses autorités, leur apporte des informations et relaie ce qui se passe à la Fédération Wallonie Bruxelles qui est leur pouvoir subsidiaire. Tout en proposant des formations. « Les bibliothèques ont élargi le public auquel elles s’adressent, note sa présidente. Les bibliothécaires vont dans les écoles, les crèches, les écoles de devoir. Un travail est réalisé avec des organismes qui font de l’alphabétisation, avec des personnes empêchées, dans les homes, etc. Nous donnons de la sorte un accès aux livres à des gens qui, spontanément, ne franchiraient pas la porte des bibliothèques. On essaie de désacraliser ces établissements, que ce ne soient plus des temples du savoir, mais des endroits ouverts à tous. »
CATALOGUES INFORMATISÉS
Ces sorties hors des murs ont ainsi fait entrer un nouveau métier, celui d’animateur, dans cet univers qui a totalement changé de visage avec le développement l’informatique, qui tend à le “masculiniser”. Les bibliothèques disposent en effet des catalogues informatisés et mutualisés qu’il est possible de consulter de chez soi. « On peut connaître tout ce qui est disponible dans celle que l’on fréquente habituellement, mais aussi dans les bibliothèques voisines, voire au-delà. Dans chacune des cinq provinces et à Bruxelles, un “opérateur d’appui” aide les bibliothèques locales, notamment pour la gestion du catalogue collectif qui permet le prêt, de plus en plus fréquent, des documents entre elles. »
« Depuis quelques années, on voit une baisse de prêts, mais pas du nombre de visites, observe François Dury. Il y a moins de gros lecteurs. Et beaucoup de gens s’y rendent pour autre chose que pour emprunter : pour des conférences, une heure du conte, des ateliers d’expression… Et, parmi les usagers, on constate une augmentation de ceux que l’on appelle les « séjourneurs », c’est-à-dire les personnes de tous âges qui ne sont là ni pour emprunter ni pour participer à une activité, mais pour lire les journaux, étudier ou simplement se retrouver. C’est le cas tout particulièrement des seniors isolés (parfois en partageant un café) et des adolescents pour des travaux scolaires de groupe ou juste « retrouver leur bande ». La bibliothèque est donc de plus en plus un lieu public ouvert gratuitement à tous et où l’on se sent bien. »
« Ce qui nous rassemble est cette volonté de donner tous les outils nécessaires à un accomplissement citoyen. »
UN TROISIÈME LIEU
Ce qui, à Liège, est indubitablement le cas de B3, le nouveau nom des Chiroux qui, en juin 2023, a investi en Outremeuse un somptueux bâtiment construit par la province à la place de l’ancien hôpital de Bavière. Cerné d’une vaste esplanade, fer de lance du quartier en plein développement, ce « tiers-lieu dédié au savoir et à la création » est impressionnant par sa taille et par son agencement intérieur. Outre la bibliothèque, il héberge un Exploratoire des possibles, dévolu aux outils numériques équipé d’une imprimante 3D ainsi qu’une pépinière d’entreprises disposant notamment d’un espace de coworking. À quoi il faut ajouter une salle de spectacle de deux cents places et une brasserie. « Le nouveau concept de Centre de ressources nous permet de travailler en collaboration avec des petits entrepreneurs dans le secteur culturel et créatif et sur l’écriture numérique, se réjouit sa directrice, Bénédicte Dochain. Nous n’avons pas davantage de documents – soit quelque 600 000 – mais nous les avons diversifiés. » Il propose ainsi des services comme le jeu vidéo, le jeu de société (dans un aménagement conçu pour), le livre d’artistes ou l’artothèque qui invite à emprunter, pour un mois, des tableaux d’inspirations extrêmement variées. Et aussi des services numériques à distance, tels la lecture en streaming et les livres audio, des cours de langue, de cuisine, de yoga, etc.
À l’instar des plus de quatre cents bibliothèques publiques que compte la FWB, B3 achète ses nouveautés auprès de librairies indépendantes réunies dans une association créée à cette occasion. Ce secteur devient ainsi un acteur de la chaîne du livre par ses acquisitions, les rencontres d’auteurs, la mise en valeur de maisons d’édition moins connues ou belges, etc. Tout en tenant un “rôle social” qui fait partie de ses missions définies par le décret de 2009, plus axé sur l’éducation permanente, l’analyse du territoire, etc. « On mène des actions vers des publics mal voyants, précarisés, en recherche d’emploi, commente Bénédicte Dochain. On étend des pratiques de lecture par différents biais en fonction de la spécificité du territoire qui n’est pas identique d’une commune à l’autre. Ce qui nous rassemble est cette volonté de développer la lecture, le vocabulaire, de donner tous les outils nécessaires à un accomplissement citoyen. On travaille beaucoup avec les écoles sur toute la province, on tente de sensibiliser les jeunes à la recherche critique. À l’heure où sont en train de fermer les bureaux de poste, les banques, etc., que des pouvoirs publics puissent continuer à investir dans des services accessibles à tous, cela me réjouit. »
Michel PAQUOT
Léglise : entre permanences et accueils scolaires
Située dans l’arrondissement de Neufchâteau, la commune de Léglise comprend un peu moins de six mille habitants répartis sur vingt-huit villages et hameaux. Sa bibliothèque, nommée Claudette et Gaston Filot, est installée au cœur du village, à côté de la crèche et de l’école communale. Elle dénombre environ six cent soixante inscrits et met à disposition quelque douze mille documents, en propre ou en dépôt, plus de très nombreux jeux de société. Tout en bénéficiant du catalogue informatisé commun à toutes les bibliothèques de la province du Luxembourg reliées en réseau. Une camionnette circule ainsi deux fois par semaine entre elles pour honorer leurs commandes. Seule à la barre (plus deux bénévoles occasionnels affectés à des tâches précises), Marjorie Gobin dispose d’un budget annuel pour réassortir ses rayonnages avec des nouveautés dont le choix dépend notamment du profil et des demandes des lecteurs.
Et en veillant toujours à bien compléter les séries au fur et à mesure, surtout en BD et en lecture jeunesse. Marjorie Gobin partage sa semaine entre l’accueil du public aux heures d’ouverture et celui des scolaires les autres jours. « Les permanences ne sont que la partie visible de mon travail, précise-t-elle. La commune compte sept écoles primaires et maternelles qui viennent régulièrement pour des animations lecture, des recherches documentaires en vue d’un exposé ou d’une visite, par exemple à la ferme. Je collabore beaucoup en amont avec les institutrices, c’est gai de pouvoir répondre aux besoins de leurs classes. On organise aussi des rallyes lectures autour d’un auteur, comme récemment Roald Dahl, ou des expositions. » Plusieurs fois dans l’année, des rencontres spécifiques sont aussi organisées, toujours en lien avec le livre. Comme, récemment, dans le cadre d’une campagne mise sur pied par une personne de la commune atteinte du cancer, des ateliers tricot et couture pour confectionner des bonnets. (M.P.)