Amour, amour, quand tu reviens

Amour, amour, quand tu reviens

La nouvelle pièce de Geneviève Damas croise l’histoire de quatre couples contemporains avec celle d’Ulysse et Pénélope. « Quand tu es revenu » est une comédie joyeuse sur la place de la femme dans le couple.

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Publié le

29 février 2024

· Mis à jour le

4 février 2025
Un homme et une femme assis sur un banc. La femme fume une cigarette.

Lors d’un dîner organisé par des amis communs, Duckling retrouve Flug, son mari qui l’a quittée vingt ans plus tôt. Elle ne le reconnaît pas tout de suite. Il faut dire qu’elle est passée à autre chose. Elle a refait sa vie avec Alain et a donné deux petites sœurs au premier enfant qu’elle a eu avec lui. Flug retombe immédiatement sous le charme de son ex-femme, tandis qu’elle se montre froide et distante. Elle se souvient comment il l’a lâchement abandonnée pour courir le monde et, par la même occasion, pour une jeune fille qui lui plaisait. Ironie du sort de voir cet homme servir ses nobles idéaux de défense des droits de l’homme en même temps que ses désirs charnels. 

« Mais n’en va-t-il pas de même pour chacun de nous, de faire coïncider ses désirs altruistes avec ses désirs égoïstes ? commente Geneviève Damas. L’histoire n’est-elle pas faite d’hommes et de femmes qui se sont investis de façon admirable et exceptionnelle dans la sphère sociale et qui ne l’ont pas été dans la sphère privée. » Malgré les invitations pressantes de Flug, Duckling n’est pas prête à lâcher la vie heureuse qu’elle s’est construite avec Alain pour retomber sous la coupe de ce séducteur quinquagénaire.

PÉNÉLOPE POTICHE ?

Comment ne pas faire le parallèle entre cette histoire et celle d’Ulysse « qui part pendant vingt ans et qui fait des tas d’expériences, qui change, qui vieillit, qui s’affranchit de certaines règles, et puis qui rentre et qui demande à son épouse si elle est restée pareille ? s’interroge l’autrice. Mais voilà, ça, ce n’est pas possible. L’Odyssée ne raconte pas ce que devient Pénélope, mais je n’imagine pas qu’elle retrouve sa place de second rôle, après avoir géré l’île toute seule et éduqué son fils. » 

Les noms des personnages sont d’ailleurs en résonance. Si Flug veut dire ‘voyage’, tout comme le mot odyssée, Pénélope et Duckling signifient tous deux ‘canard’. C’est quand même révélateur que dans cette « histoire qui fourmille de mecs, aux noms plus glorieux les uns que les autres, l’héroïne, elle, se prend ‘canard’ », s’étonne un personnage de la pièce, comme un signe de toute la considération que l’on donne aux femmes. Lorsque Geneviève Damas lit L’Odyssée, à l’âge de 23 ans, elle est frappée par le peu de place laissée aux femmes dans le récit. Elle a alors voulu rendre justice à toutes les Pénélope, celles d’hier et d’aujourd’hui, en montrant qu’une femme de cette trempe ne peut pas se soumettre à nouveau à son mari, comme si rien ne s’était passé en vingt ans.

Avec finesse et talent, la mise en scène, la musique et les jeux de lumière font passer la narration d’un couple à l’autre, parfois dans une ambiguïté des rôles qui dure quelques secondes. Car les acteurs, Geneviève Damas elle-même et Jan Hammenecker, qui incarnent les deux personnages, en sortent de temps à autre pour commenter l’action qu’ils viennent d’interpréter : comment ne pas faire de Pénélope, ou de Duckling qui est son double, une potiche ? Alors, ils rejouent la même scène en inversant les rôles, mais ça ne fonctionne pas, ce n’est pas crédible : « Une femme qui a fait des études, donc intelligente, ne peut pas afficher des rêves de midinettes. » 

ULYSSE FOUDROYÉ

Le mythe résonne également avec l’histoire familiale de l’autrice. Son grand-père, figure emblématique de la famille, était zoologue, spécialiste des Grands Lacs. Il lui arrivait souvent de partir, presque du jour au lendemain, au Congo, aux États-Unis, en Norvège ou ailleurs. Il laissait à son épouse le soin de travailler, de s’occuper du ménage et de l’éducation des enfants. « Mon grand-père qui court le monde, ma grand-mère qui fait vivre la famille et exige qu’il revienne. Lui qui plie, la mort dans l’âme. Une Pénélope qui tient bon, un Ulysse foudroyé », résume-t-elle. 

Dans un autoportrait particulièrement émouvant, qui prend place au cœur de la pièce, Geneviève Damas se confie : « Ma mère et sa mère se sont mariées avec des hommes bien qui ont veillé sur elles et ont consacré toute leur vie à s’occuper de leur famille. Les femmes de ma lignée avaient des choses à dire. Jeunes, elles débordaient d’énergie, puis elles se sont éteintes. » Alors, la comédienne et autrice casse cette destinée, elle sera la première à avoir un métier, à gagner sa vie. Divorcée, elle assurera, comme tant d’autres femmes, toutes les tâches dévolues habituellement aux hommes en plus des siennes. « Les femmes qui sont seules avec leurs enfants se sentent investies du devoir de tenir les deux rôles. Et ça, c’est une pression, un poids énorme. » Dans de telles conditions, quelle place reste-t-il pour l’amour ?

COMMENT S’AIMER ?

Un autre couple, Jean-Marc et Mélanie, s’ingénie également à jouer le bonheur conjugal devant les invités. Lui a la cinquantaine, les tempes grisonnantes et il a apporté à sa jeune et belle compagne une vie confortable, qui rend ses copines envieuses, ainsi que le bébé dont elle rêvait. Elle n’est plus très heureuse, mais elle reporte tout son amour sur son enfant. Quand on demande à Geneviève Damas ce qui, selon elle, fonde l’amour, elle répond : « Le respect, l’attention, la bienveillance. » Et aussi, peut-être, ce qu’elle fait dire à l’un de ses personnages : « Quelqu’un qui se tienne à nos côtés en dépit de la turbulence du monde. » Cette belle définition, sans doute moins flamboyante que les habituelles envolées romantiques, pourrait également convenir à l’amitié, ce sentiment apaisé qui fait durer les couples.

Guillemette Laurent, qui assure la mise en scène, a voulu donner une coloration cinématographique à la pièce, par le jeu et les lumières, comme un hommage en contrepoint au travail d’Alain Resnais, qui avait amené le théâtre dans le cinéma. Dans la foulée, Geneviève Damas anime des ateliers d’écriture sur les choses qu’on ne dit pas, sur les silences écrasants. Elle est toujours frappée par la façon dont l’écriture permet de faire jaillir des secrets, ces mots tus qui tuent. En attendant, ceux qui ne pourraient pas voir la pièce ou assister à un de ces ateliers peuvent aussi trouver le texte aux éditions Lansman et se prêter au jeu de confronter leur propre histoire à celle de Pénélope, pour découvrir peut-être, finalement, qu’on peut s’aimer sans appartenir à l’autre.

Jean BAUWIN

Quand tu reviens, de Geneviève Damas, du 12-15/03 à La Ferme de Martinrou, Chée de Charleroi 615 à Fleurus. ☎ 071 81 63 32.  martinrou.be/

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