Didier Laloy, naturellement musicien
Didier Laloy, naturellement musicien
Trente ans de carrière pour l’accordéoniste, avec plus de deux cents albums et autant de projets divers et variés par an. De son instrument, apparu à l’adolescence comme une révélation, il a fait une ouverture au monde.
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Découvrir Didier Laloy sur scène, c’est voir la musique s’incarner devant soi, prendre corps. Une musique limpide et naturelle coulant de source, comme une respiration qui ferait battre les cœurs à l’unisson d’un même rythme. Un souffle qui pousse à se laisser aller au gré des images nées du son de l’accordéon, offrant cette expérience unique de regarder de toutes ses oreilles et d’entendre de tous ses yeux. De la musique à l’état pur, portée par un artiste envouté par la découverte de son instrument qui lui est apparu comme une révélation, une manière de sortir de lui-même, une ouverture au monde.
EFFET LIBÉRATOIRE
« Dans ma famille, il était de bon ton de faire de la musique et donc, à 8 ans, j’ai été inscrit à l’académie de musique en piano classique. Le piano, ça allait un peu, mais le solfège, c’était une catastrophe ! Les professeurs ont suggéré de me faire faire du sport plutôt que de la musique. Dès lors, après un an laborieux de solfège, j’ai arrêté l’académie et je me suis mis au sport, où je n’étais pas plus doué. C’est à 13 ans que la musique est vraiment venue à moi, au cours d’une fête de quartier. Des musiciens y jouaient. Parmi eux, il y avait Marianne Uylebroeck, ma cousine Florence Yerlès et mon oncle Jacques. J’étais en admiration devant eux et leurs instruments : des accordéons. J’ai été littéralement envoûté par cet instrument qui ne m’a plus lâché. »
Marianne Uylebroeck le prend alors sous son aile, lui donne la possibilité de jouer et, surtout, de croiser d’autres accordéonistes lors de stages et de séjours ou à l’Académie d’été de Neufchâteau où les plus grands musiciens de l’époque se donnent rendez-vous. « L’accordéon diatonique s’apprend de cette manière, à travers des stages et diverses occasions de jouer ensemble. Un véritable nid à rencontres ! Et comme il n’y avait pas d’autres jeunes accordéonistes, j’ai été obligé de m’ouvrir aux autres. Cela a provoqué chez moi un effet libératoire. J’étais un petit garçon tout timide jusqu’à avoir cet accordéon en main. Il m’a permis d’exister en société, de me faire plein de connaissances. Certains trouvaient cet instrument bizarre, d’autres étaient intéressés, mais je sentais que j’existais dans les yeux de ceux que je rencontrais. »
MAITRISE DU SOUFFLET
C’est sans doute cela qui transforme chaque concert en un moment d’échange vrai, profond et sincère, entre ce musicien pour qui la musique est une manière d’être au monde, de se donner corps et âme. « C’est vrai que je me sens à l’aise sur scène. Dans la vie, je suis coincé dans mon corps et je suis un piètre danseur. Mais dès que j’ai mon accordéon entre les mains, je danse avec lui et il m’entraîne, il me fait bouger et me donne une énergie incroyable. Il me colle vraiment au corps et fait partie de moi-même. Son soufflet, qui s’ouvre et se ferme, oblige le mouvement. Ce souffle qui se dégage et que je lui impose me ramène à mon propre souffle. Pousser sur les boutons et sortir des sons, tout le monde le fait, mais faire chanter son instrument est plus difficile. Sortir la dernière note sur la fin du soupir de l’accordéon. J’ai d’ailleurs passé beaucoup de temps sur la maîtrise de ce soufflet. »
Sur scène, Didier Laloy donne le meilleur de lui-même, aux spectateurs, bien sûr, mais aussi aux musiciens qui l’accompagnent dans ses multiples projets, toujours des rencontres et des échanges. Car cet accordéoniste qui se nomme « raconteur d’histoires » n’aime pas se produire seul, préférant jouer dans des groupes ou, mieux encore, en duo. « Quand je joue dans un groupe, je dis souvent que je joue un personnage. Avec Marka, par exemple, je me sens rocker, je cours sur scène, je me contorsionne. Je me sens davantage personnage que musicien. Et jouer avec un groupe composé de musiciens, permet de s’abriter, de se cacher. Je fais partie de quelque chose dont je ne suis pas spécialement porteur. C’est un peu plus léger. »
LA VÉRITÉ TOTALE
Des groupes, il en a connu plusieurs : Tress, Urban Trad, Ialma et tant d’autres. Mais là où Didier Laloy excelle, c’est quand son propre univers, ses propres histoires, rencontrent celles d’un autre musicien. « Un duo est une rencontre absolue dans la vérité totale. Ce sont deux solos qui se rencontrent. Deux personnages qui se mettent totalement à nu et se racontent des choses intimes. J’ai vraiment besoin de ce regard de l’autre et de ce partage musical. Pour moi, le duo, c’est la base, la racine. Prenons l’exemple de Kathy Adam, avec qui j’ai joué dans un certain nombre d’ensembles. On a réussi un duo magnifique dans le spectacle Belém. Ce duo avec elle est, jusqu’ici, la chose la plus puissante que j’ai pu vivre. Se retrouver humainement et musicalement est un réel bonheur. On chante de la même façon. Elle, avec son violoncelle, et moi, à l’accordéon. On pense la musique et les silences de manière égale. On a l’impression de partager le même univers. »
Il a aussi formé un magnifique duo avec Quentin Dujardin. Un dialogue entre une guitare et un accordéon, mais, surtout, entre deux univers musicaux éloignés et des imaginaires différents. « Quentin m’a appris la liberté. Moi qui n’écris pas la musique, il m’a donné l’occasion de me laisser des plages de liberté au cœur de sa musique qui est beaucoup plus écrite. Il m’a accordé l’autorisation d’improviser, de me libérer, de me laisser aller. » Un autre duo, celui avec Tuur Florizoone, a offert un type de rencontre différent, entre deux sortes d’accordéons, l’un chromatique plus classique, l’autre diatonique davantage lié à la musique populaire.« Lui, c’était l’orchestre, tout l’orchestre. La folie aussi et la liberté puisqu’il vient du jazz. Il disait toujours que moi, j’étais le ponctuel. Parce que je suis la ligne droite, je reprends le thème au bon moment et lui, il tourne autour avec toute son exubérance et tous les sons à sa disposition. » Dernièrement, Didier a découvert un contrebassiste surdoué, Adrien Tyberghein, qui explore tous les sons possibles, et même plus, de son instrument. De nouvelles histoires à raconter, d’autres univers à investir et à créer.
Cela fait trente ans que cela dure et, pour cet anniversaire, l’accordéoniste s’est permis une rencontre avec l’univers classique, lui le musicien qui se passe aisément du solfège. Il a en effet eu l’occasion d’enregistrer un disque à Cuba avec un orchestre symphonique, tout en offrant l’opportunité à son public de vivre cet événement en mettant sur pied une tournée en Belgique où il est accompagné par l’Orchestre de la Nethen. Une nouvelle chance de découvrir sur scène ce musicien hors norme et inclassable.
Christian MERVEILLE