Les livres rendent plus humains et tolérants
Les livres rendent plus humains et tolérants
Elle est encore parfois perçue comme inutile, une perte de temps, voire un “luxe d’intello”. Et pourtant, la lecture est sans égal pour l’enrichissement du langage et des connaissances générales et pour le développement de l’intelligence émotionnelle.
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« Sincèrement, sans tous les livres que j’ai lus dès l’adolescence, je suis sûre que je serai morte. » (Amélie Nothomb) « Une heure de lecture est le souverain remède contre les dégoûts de la vie. » (Montesquieu). « Plutôt que d’évincer les expériences vécues, [la lecture] me fait découvrir des mondes qui se placent en continuité avec elles et me permet de mieux les comprendre. » (Tzvetan Todorov) « Un livre doit être la hache pour la mer gelée en nous. » (Kafka) On pourrait remplir des pages de citations célébrant les bienfaits de la lecture. Dans Les livres prennent soin de nous, Régine Detambel remarque que « le texte littéraire travaille à la restauration du lien avec autrui ». Et de préciser : « La lecture répare, elle qualifie, elle affirme, elle confirme, elle projette dans le futur ou dans le passé, elle sublime, elle explore, elle identifie, elle éduque, elle crée. »
BIBLIOTHÉRAPIE
Des bienfaits de la bibliothérapie, le soin par le livre, Gabrielle Scantamburlo, chef du Service hospitalo-universitaire de Psychiatrie au CHU de Liège, en est convaincue depuis longtemps. « En tant que psychiatre, je suis confrontée à la souffrance humaine et, progressivement, j’ai proposé à mes patients la lecture de livres. La littérature nous renvoie à ce qui nous rend profondément humains. Le propre de l’humain est de chercher à comprendre, mais aussi de raconter des histoires et d’y croire. Les histoires nous permettent de naviguer dans des contextes sociaux difficiles, de doter le réel de sens et d’augmenter notre capacité à créer des liens. La littérature participe ainsi à la construction de notre identité à travers l’identification du lecteur. Lire une histoire qui nous rappelle nos propres difficultés nous permet de mieux aborder nos problèmes et cela apaise des situations de stress, d’anxiété. Les livres ont un pouvoir transformateur. Quand on fait lire des livres à des enfants qui sont en soins intensifs, par exemple, on remarque une augmentation des hormones du bien-être et une diminution de celles du stress. » C’est ainsi qu’en tant qu’enseignante à l’ULiège, elle a introduit la lecture dans la formation des futurs médecins. « Elle leur permet de se décentrer de leur position et favorise chez eux une meilleure compréhension de leurs patients et de leur histoire particulière. »
« Le livre permet de mieux structurer sa pensée. Les gens qui lisent ont plus de mots pour appréhender le monde », estime de son côté le docteur en neurosciences Michel Desmurget. C’est pourquoi il est indispensable d’encourager l’enfant à lire. « Il faut l’y amener progressivement. Le livre possède un langage différent, plus élaboré, il contient des mots dont on n’a pas besoin dans la vie de tous les jours. Mais on ne peut pas donner un classique à un enfant qui n’a jamais rien lu d’autre, il ne s’en sortira pas. C’est le meilleur moyen pour le dégoûter à jamais de la lecture. Or le plaisir reste la clé. Les livres simples sont un passage obligé pour accéder à des livres plus compliqués. Quant aux bénéfices de la lecture, ils sont dépendants du volume textuel rencontré. Plus il est important, plus vous apprenez de mots, plus votre grammaire se développe. Les études montrent très clairement que, si on prend le développement des capacités langagières et la réussite scolaire, l’effet de lire des livres de fiction est massivement positif et important, celui de lire des BD et des mangas est nul. »
INTELLIGENCE ÉMOTIONNELLE
Comme le neuroscientifique l’étudie dans un ouvrage récent, Faites-les lire !, la lecture offre plusieurs types de bienfaits. Elle permet donc d’enrichir son langage et son vocabulaire, de disposer d’une syntaxe plus élaborée, de développer ses capacités d’écriture et même d’expression orale. Parce que « l’écrit abrite un haut niveau de complexité grammaticale », supérieur au langage oral. Lire rend aussi plus intelligent. En lisant, on engrange des connaissances, accroissant ainsi sa culture générale et sa créativité étroitement liée à ses stocks de savoirs. Et enfin, la lecture bonifie le développement socio-émotionnel. Soit sa capacité à comprendre et à gérer ses émotions, à établir ses relations avec les autres et à s’adapter à toutes sortes de situations.
« Pour développer l’intelligence émotionnelle et sociale, rien ne remplace les romans, confirme l’auteur. Voir Emma Bovary qui trompe son mari au cinéma ou lire tout ce qui se joue dans ses pensées, dans ses contradictions, dans ses peurs, dans ses pulsions, dans ses motivations, c’est très différent. Le livre est le seul substrat qui vous permet de pénétrer dans la tête des gens. Quand Emma Bovary est désespérée, les zones qui s’activent dans le cerveau du lecteur sont les mêmes que les siennes. Cela a deux impacts extrêmement bien établis : la capacité de comprendre pourquoi les autres agissent comme ils agissent et d’anticiper leurs actions, ce qui est important au niveau social. Et celle de ressentir ce qu’ils ressentent, ce qui est un marqueur essentiel et unique de notre humanité. On n’est pas spectateur de l’émotion d’un personnage, on en est l’acteur. On devient le personnage. »
NOURRIR LE CERVEAU
Michel Desmurget insiste aussi sur l’importance de l’objet livre. « Lire le même contenu sur une tablette, ce n’est pas la même chose. Le livre possède une unité spatiale, il nous aide à avoir une meilleure représentation des rapports entre les éléments du texte. Et on se concentre mieux sur papier que sur écran. On peut tourner autour du pot pendant des années, on n’a rien inventé de mieux que le bouquin pour nourrir le cerveau. » Et la lecture numérique n’a rien avoir avec celle d’un livre, aux yeux de celui qui a sous-titré son nouvel essai « Pour en finir avec le crétin digital. » « Sur le numérique, les jeunes ne lisent quasiment plus. Le temps passé sur les réseaux sociaux, sur les blogs, et même sur les supposées encyclopédies comme Wikipédia, a des impacts au mieux nuls, mais le plus souvent négatifs sur le développement du langage et de la réussite scolaire. Des études ont également montré que l’accroissement du numérique est lié à une baisse très nette de la capacité d’empathie des jeunes générations, accompagnée d’une augmentation du narcissisme. Cela explique une hausse de l’agressivité de base, de l’incapacité à comprendre l’autre, à se mettre à sa place, à tolérer son point de vue. »
Michel Desmurget relève encore que la peur que suscitent les livres dans les dictatures. Les nazis en ont par exemple anéanti cent millions. Dans des romans dystopiques qui mettent en scène des régimes totalitaires, ils sont soit brûlés (Fahrenheit 451), soit réécrits (1984), soit aident une petite classe érudite à asservir une population intellectuellement abêtie (Le meilleur des mondes). La lecture aurait-elle avoir avec la démocratie ? « Elle en est un outil absolument essentiel. Elle nous permet de comprendre le monde. S’en priver, c’est se priver de ce qui fait notre humanité et d’être des acteurs efficients de la vie démocratique collective. Les livres font réfléchir, permettent de voir le monde d’un point de vue différent de soi, de se mettre dans la tête d’un dictateur ou d’une victime, d’un Noir ou d’un Blanc, d’un homme ou d’une femme. On n’a rien inventé de mieux contre le sexisme ou le racisme que les livres parce que vous allez rentrer dans la tête de gens différents de vous. Vous allez vivre avec leur regard. Les livres sont les supports sans égal de notre tolérance et de notre compréhension de l’autre. »
Michel PAQUOT

Michel DESMURGET, Faites-les lire! Pour en finir avec le crétin digital, Paris, Seuil, 2023. Prix : 22,50€. Via L’appel : – 5% = 21,38€.