Par temps d’hiver

Par temps d’hiver

La situation de l’Église dans le monde contemporain peut être vue comme une situation hivernale. Le chrétien d’aujourd’hui a besoin d’une spiritualité pour temps d’hiver.

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Publié le

29 février 2024

· Mis à jour le

4 février 2025
Le chroniqueur Armand Veilleux, à l'extérieur devant des arbres

Karl Rahner, qui fut l’un des théologiens majeurs de Vatican II, réfléchit longuement sur la situation du chrétien dans l’Église postconciliaire. Ses conversations sur ce sujet furent publiées en 1986 sous le titre Faith in the wintry season (La Foi dans la saison hivernale). L’hiver qui le préoccupait était l’ensemble de la situation socio-politique et économique qui affectait et menaçait la foi des croyants. 

DEUX COURANTS SPIRITUELS

Il discernait deux courants de spiritualité dans l’Église contemporaine. À côté des nouveaux mouvements de caractère charismatique, il percevait le courant des chrétiens continuant fidèlement leur vie de prière et leur réception des sacrements, malgré les changements radicaux du monde environnant. C’est cette dernière approche qu’il qualifiait de « spiritualité pour temps d’hiver ». Il la distinguait de la « spiritualité pour temps d’été » des années antérieures, baignant dans la joie et la chaleur d’une présence de Dieu fortement ressentie. 

Les chrétiens “hivernaux” sont ceux qui, pour utiliser une expression de saint Paul, marchent dans la foi et non dans la vision. Un théologien luthérien américain contemporain de Rahner, Joseph Sitler, décrivait cette approche spirituelle dans un sermon célèbre sous le titre : View from Mount Nebo. Il faisait évidemment référence à la situation de Moïse qui fut appelé à guider le peuple choisi durant quarante ans vers la terre promise, mais qui n’eut pas la joie d’y pénétrer lui-même. Il ne put que l’entrevoir du sommet du Mont Nébo. Pour Sitler c’était là une image du cheminement dans la foi, souvent une foi aride, qui est celle de ceux qui ont la grâce d’une spiritualité pour temps d’hiver.

UNE SAISON HIVERNALE

Rahner utilise la métaphore de « saison hivernale » pour désigner la situation de la foi dans le monde moderne. Dans la société d’aujourd’hui, particulièrement en Europe ou en Amérique, on ne peut plus être chrétien simplement par conventions sociales ou par attachement familial. Être chrétien requiert une décision personnelle. Une Église en diaspora a remplacé la situation de chrétienté des générations précédentes. Bien plus, la société, caractérisée par diverses formes d’athéisme ou d’agnosticisme, peut souvent rendre difficile à l’individu de vivre les valeurs évangéliques qu’il professe. Fini le temps de la floraison abondante de dévotions et de croyances de toutes sortes. Les feuilles sont tombées et les branches dénudées sont exposées au vent froid de la pensée positive. Le chrétien engagé n’a plus d’énergie à investir dans ce qui est périphérique, comme durant la précédente époque estivale. Il se doit de revenir sans cesse au centre, à ce qui peut nourrir son cœur dans le froid hivernal qui l’entoure. Les belles idées sur Dieu que véhiculent encore bien des prédications ne lui sont guère utiles. Il lui faut une profonde expérience personnelle du Dieu vivant. C’est pourquoi Rahner aimait dire que le chrétien de l’avenir devrait être un mystique, c’est-à-dire quelqu’un qui a fait l’expérience personnelle d’un Dieu qui s’est incarné par amour. 

Cet hiver, parce qu’il est habité par l’amour incarné de Dieu appelant les hommes à s’aimer les uns les autres, est porteur d’un espoir de printemps. Le pape François, qui expérimente dans sa propre vie, à travers les nombreuses attaques dont il est l’objet, le froid de l’hiver actuel de l’Église, ne cesse de nourrir de l’espérance le peuple chrétien – et non chrétien. Il le fait à travers son enseignement, comme dans l’encyclique Fratelli tutti, sur la solidarité et l’amitié sociale, mais surtout à travers le processus de synodalité dans lequel il a engagé l’ensemble du Peuple de Dieu, et qui laisse entrevoir un nouveau printemps.

Armand VEILLEUX, Moine de l’abbaye de Scourmont (Chimay)

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