Le phénomène « Un p’tit truc en plus »

Le phénomène « Un p’tit truc en plus »

Sorti au printemps dernier, le premier film de l’acteur et humoriste Artus a été vu par plus de 300 000 spectateurs en Belgique et a dépassé la barre de dix millions en France. Il offre au grand public un regard différent et étonné sur la présence particulière d’artistes atteints de handicap mental.

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Publié le

30 septembre 2024

· Mis à jour le

26 février 2025
Sorti au printemps dernier, le premier film de l’acteur et humoriste Artus a été vu par plus de 300 000 spectateurs en Belgique et a dépassé la barre de dix millions en France. Il offre au grand public un regard différent et étonné sur la présence particulière d’artistes atteints de handicap mental.

Bien sûr, des films ont déjà parlé du handicap mental. L’un des plus célèbres est Rain Man (1988), avec la composition extraordinaire de Dustin Hoffman interprétant un autiste savant. Cette performance a permis à un plus grand nombre de gens de prendre conscience de l’existence de ce handicap surprenant qui était alors peu connu. En 1996, le merveilleux film de Jaco Van Dormael, Le huitième jour, abordait le thème de la trisomie 21 à travers une histoire très symbolique et un jeu d’acteurs époustouflant, entre Daniel Auteuil, dévoré par ses occupations, et Pascal Duquenne, vivant à chaque instant le moment présent. Tous deux ont d’ailleurs été récompensés ex aequo par le prix d’interprétation au Festival de Cannes. 

BONHEUR D’ÊTRE AU MONDE

Et aujourd’hui, Un p’tit truc en plus, première réalisation d’Artus, provoque un réel engouement, battant tous les records d’audience. Si c’est un film simple, pas de ceux qui marqueront à jamais l’écriture cinématographique, ce que retient surtout le spectateur après l’avoir vu, c’est son incursion dans le quotidien d’un groupe de handicapés. Cette immission lui a permis de “vivre” un moment de pur bonheur d’être au monde en compagnie de personnes porteuses de “ce p’tit truc en plus” qui les rend si naturels dans la vie comme sur écran. Déjà, son titre est tout un programme ! Artus avait cette phrase à la bouche dans un de ses sketchs intitulé Sylvain. « Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur de ce monde », écrivait Camus. Bien les nommer aiderait donc à mieux les comprendre. Trop souvent, on parle du handicap comme de quelque chose qui diminue la personne, alors que, selon l’une de ses définitions, il s’agit d’une « épreuve sportive où l’on impose aux meilleurs concurrents certains désavantages au départ afin d’équilibrer les chances de succès ». Parler donc d’un « p’tit truc en plus », sans le nommer, mais en le découvrant tout au long du film, permet dès lors d’aiguiser le regard et de constater, en la partageant à l’écran, cette joie de vivre, cette exubérance, cette manière d’être au cœur de l’instant.

Le musicien Steve Waring (voir son portrait en pages 30-31) raconte cette anecdote au sujet de son fils Arthur, 36 ans aujourd’hui, que le « moustique trisomique a piqué ». À quelqu’un qui lui demandait quel était son plus grand talent, il a répondu : « La Joie. » « Et c’est vrai qu’il apporte la Joie dans le foyer où il réside, en famille, partout où il va », confirme son papa. Sans aucun doute, la joie des acteurs du film d’être sur les marches du Festival de Cannes a frappé les (télé)spectateurs. Être là, différemment des grandes stars qui ont l’air de jouer ce moment ou le font par habitude.

DES COMÉDIENS ATYPIQUES

Les voir jouer si réellement la comédie dans le film en brisant toutes les frontières des conventions provoque un bonheur communicatif. Une manière touchante et bien à eux d’être au monde en étant tout ce qu’ils sont, sans retenue et sans barrières. Au-delà de l’histoire assez convenue, c’est cela que le spectateur retient. « Pour moi, c’est pas un film qui traite de la différence, c’est un film avec des comédiens atypiques. Le sujet c’est pas le handicap. Il s’avère simplement que tu as des acteurs en situation de handicap. C’est un film avec des comédiens qu’on voit peut-être moins souvent. Je ne voulais pas de comédiens professionnels, a déclaré Artus au site spécialisé AlloCiné. Je ne voulais pas qu’ils jouent, je voulais qu’on soit dans le vrai et que l’écriture soit au plus près d’eux. »

On voit peu d’artistes atteints de handicap mental à l’écran ou sur scène. Steve Waring, lui, joue régulièrement avec Arthur. « J’avais lu dans un livre que les personnes trisomiques chantaient faux. Je peux dire qu’Arthur ne chante pas faux », affirme-t-il. Il est même plutôt bon musicien. Il joue de la trompette depuis l’âge de huit ans et, depuis un an, il est inscrit à l’École nationale de Musique de Villeurbanne, près de Lyon. « Il joue aussi du bâton de pluie. Il a même une façon « en plus » de le faire par rapport aux professionnels de la percussion qui jouent de cet instrument. Arthur, lui, fait couler les billes dans l’instrument toujours au bon moment en rapport à ce qu’évoquent les paroles de la chanson. À la fin, il fait même sonner l’instrument pas comme d’habitude en faisant couler les billes, mais en le tenant avec les deux mains et en le secouant pour le faire sonner comme un tambourin. »

Ce film apporte un autre regard sur ce qui ne semble qu’être une différence. Il montre que chacun possède « un p’tit truc en plus ». Cette différence que nous avons tous et toutes en commun fait qu’on se ressemble dans une diversité apparente et assumée en se rencontrant sur scène, au cinéma, dans les livres afin que, dans la vie, puissent se tisser des liens plus profonds.

Christian MERVEILLE

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